lundi 26 décembre 2011

Côte d'Ivoire : la politique à courte vue de la France

Source : Survie (communiqué du 7 décembre 2011)

Alors que la communauté internationale a le regard tourné vers le transfert de Laurent Gbagbo à la CPI, la Côte d’Ivoire organise le 11 décembre des élections législatives dans un contexte politique et sécuritaire dégradé. L’aveuglement volontaire de la France et de la communauté internationale est inacceptable.
Cette échéance électorale fait partie du chronogramme négocié par l’ex-président Laurent Gbagbo et les rebelles du Nord. Un processus certifié par l’ONU qui avait pourtant déjà renoncé à accompagner à son terme le désarmement, préalable à l’élection présidentielle de décembre 2010. Dans ces conditions, le pire scénario a pu se dérouler : l’installation par la force d’Alassane Ouattara par les ex-rebelles, avec l’appui déterminant du contingent militaire français et l'aval de la communauté internationale.
Huit mois après, la Côte d’Ivoire n’est toujours pas réunifiée. Le nord reste toujours sous la coupe d’ex-rebelles qui recouvrent des taxes, contrôlent les douanes et exportent les ressources du pays pour leur propre compte.
Sur le plan politique, l’opposition est décimée et le poids des ex-rebelles empêche l'application de l'accord électoral liant Alassane Ouattara à ses autres alliés politiques. En outre, avec un redécoupage électoral sur mesure, le résultat des élections législatives habillera les ex-dirigeants rebelles, devenus candidats aux législatives, d'une nouvelle légitimité.
La sécurité des Ivoiriens, confiée aux ex-rebelles, est toujours précaire. Une étude menée par trois organisations1 estime que des centaines de milliers de personnes déplacées vivent toujours dans des conditions indignes et que l'ouest, théâtre de crimes de masse, est particulièrement touché : « Compte tenu de la persistance d'attaques en représailles, d'arrestations arbitraires, de tueries, de violences sexuelles, de harcèlement verbal et de taxations illégales, la population continue de vivre dans la peur dans une région « inondée d'armes », selon la formule du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies ».
L’impunité est toujours la règle et la justice partiale. Si des poursuites ont été engagées contre les partisans de l’ex-président, et que Laurent Gbagbo vient d'être confié à la Cour Pénale Internationale, « aucun membre des Forces Républicaines2 n'a été arrêté pour des crimes commis durant le conflit »3 malgré les promesses répétées d’Alassane Ouattara. Ces crimes sont pourtant documentés par de nombreuses organisations internationales.
Dans ces conditions, « la stabilisation de la Côte d'Ivoire sur les plans politique et sécuritaire pourrait, en fin de compte, dépendre de la tenue en temps voulu d'élections législatives et municipales libres, démocratiques et transparentes. L'organisation de ces élections, dans un pays où les divisions politiques sont profondes, où l'infrastructure électorale laisse à désirer et où les conditions de sécurité sont précaires, demeure une gageure. » a estimé le Groupe d'Experts de l’ONU sur la Côte d'Ivoire dans son rapport de mi-mandat d’octobre 20114. Ce dernier n’exclut d’ailleurs pas « une reconsolidation des groupes d'opposition et la perspective d'une reprise des hostilités à la suite des prochaines élections législatives » alors que les armes prolifèrent. Conscient de ce risque, le gouvernement français, plutôt que de miser sur le désarmement et l'apaisement, soutient la mise sur pied d'un dispositif répressif. Dépêché sur place, son ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, a fait don de matériel policier, en prélude à un grand programme d'équipement dans le cadre d'un contrat plan entre les deux pays5. Surtout, la présence militaire française a été réaffirmée par Nicolas Sarkozy et un accord de défense rénové sera signé très prochainement.
C’est à l’aune de ce constat que l’on mesure l’aveuglement de la diplomatie française, exprimé par Alain Juppé le 8 novembre, à l'Assemblée nationale : « Nous avons sur l'Afrique une ligne de conduite très claire. Pour nous, ce qui est prépondérant c'est d'assurer à l'Afrique des élections qui soient claires, transparentes, garanties par une surveillance internationale et qui permettent de faire émerger des régimes véritablement démocratiques. (…) C'est le combat que nous avons mené en Côte d'Ivoire (..). Ce sera le fil conducteur de notre politique africaine ».
L’association Survie demande :
·  le retrait définitif des militaires français de Côte d’Ivoire ;
·  que la lumière soit faite sur l’implication de l’armée française et de l’ONU dans l’avancée vers Abidjan des ex-rebelles (soupçonnés pour certains de crimes contre l'humanité) lors de la crise poste-électorale de 2010-2011;
·  que le parlement français exerce son contrôle sur l’opération Licorne, conformément aux dispositions prévues par la réforme de la Constitution de juillet 2008, et crée une commission d’enquête parlementaire sur l’ensemble de cette action depuis son déploiement en 2002 ;
·  de conditionner les relations avec le nouveau pouvoir ivoirien à l’obligation de poursuivre les responsables des crimes commis en particulier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et de les exclure de tout rôle politique ou militaire ;
·  qu'en particulier, la coopération franco-ivoirienne sur le plan de la sécurité respecte l'embargo international sur le matériel militaire et les matériels connexes à destination de la Côte d'Ivoire, en vigueur depuis 2004.

Contact presse :
Stéphanie Dubois de Prisque, chargée de communication

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mardi 20 décembre 2011

DES NOUVELLES FRAÎCHES de MAMADOU KOULIBALY


Il faut sauver le soldat Koulibaly... même malgré lui
Par Grégory Protche* (source : Le Nouveau Courrier 19 décembre 2011)

Je viens de lire un article de Mamadou Koulibaly, Législatives sous hyper-présidence : Quelques leçons, paru le 16 décembre dans L'Inter. Long. Trop. Pour masquer le vide : le trop plein ? Comme les chanteurs font 22 titres sur un cd quand ils n'en ont pas trouvé un d'assez fort pour faire un single... le bon. Beaucoup de lignes, de chiffres, mais pas une idée. Pas une idée importante. Essentielle. Et cruciale aujourd'hui. Ce qui est rare venant de lui. Et triste. Du commentaire. De la rhétorique. Du vide. Du bout du stylo. Comme s'il n'avait pas participé, comme s'il ne s'était pas présenté, comme s'il n'avait pas accepté les inacceptables conditions d'élections au mieux inutiles et au pire dommageables.
MK pose trois questions en ouverture de son article. 1) Les partis politiques ont-ils été à la hauteur des enjeux ? 2) La classe politique est-elle encore crédible dans notre pays? 3) Les élections servent-elles encore à quelque chose? Trois questions fondamentales mais hors de propos. Anachroniques. Dérisoires. Il annonce ensuite que son analyse s'appuiera sur les chiffres de la Commission électorale indépendante… Pourquoi ? Pourquoi faire ? Qui croit encore à l'indépendance de cette commission au point qu'on en ait besoin pour s'en défier… MK plonge dans une piscine vide sous les yeux du public pour informer celui-ci qu'il n'y a plus d'eau dedans.
Un petit doigt d'égo, lorsqu’il découvre que sa défaite "semble focaliser" les attentions… c'est désagréable car énoncé presque narquoisement : Mamadou Koulibaly douterait-il (vraiment) de l'attention que les gens intelligents portent à son parcours ? Et donc de son importance dans le jeu politique, non pas seulement ivoirien, mais africain, panafricain même ? Françafricain au moins. Bien sûr que ceux qui voient en lui un traître se réjouissent de son fiasco. Bien sûr aussi que ceux qui pensent que rien n'est si simple sont consternés par cette évitable et inutile Bérézina annoncée. Quand MK rappelle que son parti est né il y a quatre mois à peine et qu'il est privé de ressources par Alassane Ouattara, on a envie de lui dire : autant de raisons de ne pas cautionner un prétendu jeu démocratique aux règles aussi viciées que vicieuses… C'est en comptant ses fractures que le plongeur se souvient qu'il avait vu le gardien vider la piscine.
Alassane Ouattara devient sous sa plume un "hyper président". Une façon comme une autre de le légitimer, de le sarkozyser, grogneront certains. D'oublier dans quelles conditions il est devenu cet hyper président… Mais là n'est pas le plus grave. Puisque tous les partis ivoiriens ont vu leur audience baisser, en raison d'une abstention qu'il ne commentera pas, celle du Lider, son parti, est à l'unisson. Pas plus, pas moins. Sauf que le Lider, en soi, n'existe pas. Le Lider, c'est son leader : Mamadou Koulibaly. Et c'est tout. Comme un étudiant fainéant, il paraphrase et traduit les chiffres en mots. Et là, on commence à comprendre le but, naïf, de sa manœuvre : trouver une explication politique, politicienne, à une erreur intellectuelle. À une faute morale. Lorsqu'il avance que "le vainqueur (RDR, ndlr) a pris soin de violer toutes les règles démocratiques pour mettre en déroute ses adversaires, terroriser les populations, intimider l’électorat et utiliser les moyens financiers de l’Etat pour soutenir les candidats de son choix", ce n'est que pour oser, derrière, l'infamant : "Le FPI, avec son refus de participer au scrutin, a laissé tomber son électorat et le débat national pour se focaliser sur ses urgences du moment : se réjouir du faible taux de participation". Comment, moi, Gaulois vaguement au fait des "Ivoireries", puis-je être au courant que le FPI a boycotté ce scrutin en raison de l'arrestation, suite à l'intervention française, puis du transfert de Laurent Gbagbo devant la CPI, et pas Mamadou Koulibaly ?
Rien n’est pire que l’intelligence qui joue à l’imbécile, à part peut-être un idiot qui fait le savant.
On peine pour lui en le voyant évoquer la situation politique en Côte d'Ivoire comme si elle n'avait pas été "perturbée" par l'intervention française, comme si cette intervention n'avait pas eu lieu, comme si elle n'avait pas tout changé… Comme si "l'absence" de Laurent Gbagbo n'était qu'un détail.
On a du mal à distinguer encore le pourfendeur du franc CFA et des pratiques de la Françafrique derrière ces coupables et pathétiques omissions : un père, ça ne se tue qu'une fois. Et en reconnaissant Ouattara, il l'avait déjà fait…
Si je pouvais l’interviewer aujourd’hui, ce serait ma seule question : pourquoi le 12 avril 2011, prenant Accra pour Londres et vous-même pour de Gaulle, ne vous êtes-vous pas proclamé, en vertu de votre poste de président del’Assemblée nationale, président de fait puisqu’il y avait vacance du pouvoir… ?
L'intelligence ne fait pas tout. Pas plus en politique qu'ailleurs. Il faut du cœur, des tripes et le sens de l'histoire. On ne passe pas à côté d'un destin pour une carrière lorsqu'on s'appelle Mamadou Koulibaly. On n'en a pas le droit. Même si je persiste, depuis mon petit point de vue, à prétendre qu'il ne faut pas jeter le bébé politique Koulibaly avec l'eau vaseuse du bain électoral ivoirien. Aucun pays ne peut se permettre le luxe de se priver d'un cerveau comme le sien. Bref : il faut sauver le soldat Koulibaly... y compris malgré lui.
*Rédacteur en chef du Gri-Gri International, auteur de "On a gagné les élections, mais on a perdu la guerre".

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samedi 17 décembre 2011

Qui a remporté les élections en Côte d’Ivoire ?

Sur les cendres encore chaudes de l'élection présidentielle de 2010, des élections législatives viennent de se dérouler en Côte d'Ivoire. Un fait, a cependant sauté aux yeux de tous. Les Ivoiriens ne se sont pas bousculés aux portes des bureaux de vote. Pour tout dire, nombreux parmi ceux qui ont pris part à l'élection présidentielle de décembre 2010, ne se sont pas senti concerné par ce vote. Au regard de ce flagrant manque d'engouement, certains ont parlé de « désert électoral », quand d'autres ironisaient : « Bureaux de vote cherchent électeurs ». Soulignons aussi, le mot d'ordre de boycotte lancé par le FPI, principal parti d'opposition crée par Laurent Gbagbo. Ce parti avait appelé ses militants et sympathisants à « rester chez eux », de sorte à ne pas prendre part à ces législatives. Ceci, expliquerait cela.
Nonobstant toutes les agitations de l'opposition autour du taux de participation, le pouvoir Ouattara pouvait dormir sur ses deux oreilles, sûr de détenir l'arme sécrète : Monsieur CEI, l'expert dans l'art des résultats mystérieux. Cet homme n'avait pas encore dit son dernier mot. Mais c'est maintenant chose faite. Car des méandres du laboratoire si sophistiqué de la CEI, la nouvelle vient de tomber : 36,56% de taux de participation à ces législatives de 2011. Là où certains ne donnaient pas plus de 20%. Formidable Youssouf Bakayoko, tu ne cesseras jamais de nous dribbler !
Ces élections législatives feront couler beaucoup d'encre et de salives. Pas plus. Ouvrons ici une petite parenthèse : Les perdants du PDCI, peuvent crier, ou même pleurer. Faire toutes les acrobaties les plus burlesques. Tant pis pour eux ! Car, tant que le sphinx de Daoukro, président du PDCI, convole en noces mielleuses avec Alassane Ouattara, président du RDR, ces frustrés peuvent « aller voir ailleurs ». Refermons très vite cette parenthèse sur les sanglots et les lamentations honteuses du PDCI. Ces gens sont assez grands pour assumer leur alliance de « dupeur-dupé ».
Vous avez dit élections législatives ? Alors que le pays est loin d'avoir dépassé les terribles répercussions de cette guerre inique. Des législatives dans un tel contexte, c'est un joli pansement qu'on tente ainsi d'appliquer sur des plaies purulentes et auxquelles l'ont s'est bien gardé d'apporter des soins appropriés.
Les plaies dont souffre la Côte d'Ivoire sont là, béantes et pas du tout jolies. Ce pays souffre des ses fils et filles portés disparus ou en exil. De ses enfants emprisonnés ou déportés. De ses femmes, de ses jeunes et de ses hommes victimes de la barbarie et de l'injustice des sbires du nouveau régime. Ce pays souffre de ne pas connaitre la vérité. Cette vérité qui libèrera et soulagera à la fois les cœurs et les esprits : « Qui a remporté l'élection présidentielle de 2010 en Côte d'Ivoire ? ». Ce jour où des preuves ne souffrant d'aucun doute répondront à cette question, ce jour et ce jour là seulement la Côte d'Ivoire pourra enfin pousser un profond soupir de soulagement. Elle pourra alors appeler ses fils et filles autour d'une vraie cohésion sociale, au-delà de simples et vains mots. Or, tant que le souvenir des bombes françaises hantera nos nuits les plus profondes, ce pays continuera de souffrir de ses cauchemars.
Les Ivoiriens ont été appelés à choisir. Aujourd'hui encore. Mais quel choix y a-t-il à faire lorsque le choix de la communauté dite internationale s'impose, depuis avril 2011, aux Ivoiriens ? Quel choix y a-t-il faire lorsque l'un des principaux protagonistes du jeu démocratique ivoirien et son parti politique sont absents, voire exclus ? Il eut fallu que celui qui tire sa légitimité de « la communauté internationale », s'en réfère justement à cette communauté pour choisir ses députés. Au lieu d'ennuyer les Ivoiriens plus préoccupés par leur sort quotidien dans la nouvelle république RHDP.
Cela aurait été juste et convenable au regard de l'historique [contentieux] électoral qui a cours depuis 2010. Toute tentative contraire reste et ne sera que mascarade.
Les Ivoiriens, ont refusé d'aller à ces législatives. Par ce désaveu cinglant, ils ont renvoyé Monsieur Alassane Ouattara à « sa communauté internationale ». Car le peuple est et reste le dernier recours. Beaucoup de chefs d'Etat l'ont appris, ces derniers temps, à leurs dépens.
N'empêche, Hamed Bakayoko, ministre de l'intérieur d'Alassane Ouattara, interrogé sur la question de l'enjeu de ces législatives, répond : « L'enjeu de cette élection n`était pas le taux de participation, c`était d`abord d`organiser une élection apaisée ». En d'autres termes, que les Ivoiriens aient participé ou non à ces élections, cela leur est égal. « La communauté internationale a constaté qu'il n'y a eu aucun incident lors de ces élections ». Hamed Bakayoko peut dire ce qu'il veut pour sauver la face à son patron. Youssouf Bakayoko peut annoncer les chiffres qui font plaisir à ses employeurs, avec à la clé des promesses de séjours dorés en France. Les Ivoiriens ont fait usage de leur droit. Le droit d'exprimer leur désapprobation : « Non, nous ne voulons pas de ces élections wouya wouya (sans aucune valeur) ».
Et la démocratie dans cette histoire ? Alassane Ouattara n'a, en effet qu'une volonté factice d'ouvrir le jeu démocratique en Côte d'Ivoire. Et montre qu'il se souci peut de ce que les Ivoiriens pensent ou ressentent. Qu'ils croupissent en prison, qu'ils meurent en exil, qu'ils subissent les exactions de tous genres ou la justice des vainqueurs, il n'en a rien à cirer. Le plus important, pour lui, c'est de montrer à la « communauté internationale », que « tout va très bien en Côte d'Ivoire » et de surtout s'offrir une législature taillée sur mesure. Une assemblée nationale où l'on pourrait facilement conduire les débats en dioula, du fait de sa très forte coloration nordique.
Alors les Ivoiriens, qui ont très vite comprit cela, ne se sont pas fait prier pour refuser de prendre part à ces législatives. On n'entend d'ici, certains caciques du pouvoir s'évertuer à minimiser le faible taux de participation : « le scrutin a été libre et transparent » ; « la légitimité du prochain parlement n'est pas liée au taux de participation », et patati et patata… Quoi qu'il en soit, l'arrière goût amer de ce refus leur restera longtemps encore en travers de la gorge.
En l'absence des Ivoiriens, dans leur large majorité, de qui Ouattara tient-il donc sa légitimité ? Répondre à cette question revient à répondre aussi à celle-ci : « Qui a remporté l'élection présidentielle de 2010 en Côte d'Ivoire ? ».
Marc Micael
(Source : Ivorian.Net 16 décembre 2011)

 
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vendredi 16 décembre 2011

Les législatives ne changent pas la donne

Analyse - La réconciliation nationale reste le principal défi d’Alassane Ouattara, toujours controversé.
Par MARIA MALAGARDIS (Envoyée spéciale à Abidjan) Libération (Paris) 14 décembre 2011

Les absents ont-ils eu raison ? C’est en tout cas ce que voulaient croire hier les partisans de l’ancien président, Laurent Gbagbo, en jubilant devant le très faible taux de participation aux législatives de dimanche en Côte-d’Ivoire. Eux dont le parti avait boycotté le scrutin voyaient dans cette désaffection de l’électorat le signe d’une «sanction» contre l’actuel président, Alassane Ouattara, dont ils contestent toujours la légitimité, et une victoire à distance pour Gbagbo, détenu par la Cour pénale internationale de La Haye depuis le 29 novembre.


« Est-ce vraiment le boycott des partisans de Gbagbo qui a pesé ? Il ne faut pas comparer les législatives de dimanche avec la présidentielle de décembre 2010, mais avec les dernières législatives, il y a onze ans. Le taux de participation n’était déjà que de 32%. Ce qui n’avait pas empêché à l’époque Laurent Gbagbo de juger son assemblée légitime », rappelle, un brin désabusé, Boureima Badini. Cet homme discret a joué un rôle clé dans le long processus de sortie de crise qui a abouti aux élections de dimanche.


Coulisses

Dans son bureau qui domine la lagune d’Abidjan, un grand portrait du président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, rappelle qu’il est avant tout le représentant de l’homme fort de la région. Ce dernier est devenu le « facilitateur » du conflit ivoirien en 2007, lorsque fut signé l’accord de Ouagadougou entre Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Guillaume Soro, alors chef des forces rebelles qui occupaient le nord du pays. Pendant quatre ans, Boureima Badini n’a cessé de maintenir le dialogue entre les frères ennemis ivoiriens, menant une diplomatie de coulisses qui a bien failli voler en éclats lorsque Gbagbo a refusé le verdict de la présidentielle de 2010. Mais aujourd’hui, Badini est bien placé pour évaluer les enjeux de l’après-législatives. Il semble convaincu que tout dépendra de « la capacité des vainqueurs à tendre la main aux vaincus de la crise » : « Dans nos sociétés fragiles, la majorité, même légitimée par les urnes, ne peut pas se permettre d’ignorer la minorité », explique-t-il. Le Rassemblement des républicains (RDR), le parti de l’actuel président, est assuré de rafler la majorité des 255 sièges de l’Assemblée. « Mais il devra se montrer le plus inclusif possible et tendre la main à ses adversaires », souligne encore Badini.


Reste que le parti de Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), bien qu’affaibli, n’a dans l’immédiat aucun intérêt à collaborer avec le pouvoir. C’est donc Ouattara et ses alliés qui devront seuls gérer les défis immédiats : la reprise économique et le retour de la sécurité. En principe, c’est le grand allié du RDR qui devrait décrocher le poste de Premier ministre. L’ancien parti unique fondé par Félix Houphouët-Boigny, le Parti démocratique de Côte-d’Ivoire (PDCI), avait permis à Ouattara de gagner la présidentielle en lui apportant le soutien du sud et du centre du pays. Mais comme beaucoup d’observateurs, Badini spécule sur le maintien de l’actuel chef du gouvernement à son poste : Guillaume Soro a l’avantage d’être obéi par les forces rebelles, qu’il a commandées et dont les chefs ont été promus dans la nouvelle hiérarchie militaire.


Complices

 « Ouattara et Soro sont devenus très complices, note le négociateur burkinabé, qui connaît bien les deux hommes. De plus, ils sont complémentaires : Ouattara assure la reprise économique, et Soro s’occupe de la réforme de l’armée et de la sécurité. » Est-ce que ce sera suffisant pour faire taire les vieux démons ? « Une partie de la population continue à voir en Ouattara un étranger d’origine burkinabée, reconnaît Badini, forcément sensible à la stigmatisation dont ses nombreux compatriotes ont fait l’objet pendant tant d’années de tensions. La crise ivoirienne a été avant tout identitaire. On s’est alors attaqué aux immigrés, qui forment un tiers de la population active. » Badini n’ignore pas que la reprise économique s’accompagnera de nouvelles revendications sociales, tant les attentes sont fortes. Seront-elles exploitées par les partis politiques, alliés ou non du gouvernement ?


« A terme, il y a bien un risque de voir une partie du PDCI reformer une grande alliance du Sud avec les héritiers du FPI », estime un cadre du PDCI qui, bien qu’hostile à Gbagbo, reconnaît à ce dernier « des atouts qui manquent à Ouattara : une certaine ferveur, un contact facile avec le peuple ». L’actuel président, lui, voyage beaucoup à l’étranger, « mais jusqu’à présent, il s’est peu déplacé dans le pays, rappelle-t-il. Or, bien plus que de nouveaux députés, les Ivoiriens veulent un leader qui leur parle et leur redonne confiance ».




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jeudi 15 décembre 2011

Pacification et résistance




« On ne peut fonder la liberté sur l'emploi d'une force étrangère. Remettons entre les mains des peuples leurs propres destinées. Ceux qui veulent donner des lois, les armes à la main, ne paraissent jamais que des étrangers et des conquérants. » Robespierre

L'image m'avait choqué et je lui avais consacré un billet dans un autre espace… « Pacification de la Côte d'Ivoire », disait la légende. On y voit des jeunes hommes allongés par terre dans la rue, quelque part dans Abidjan. Et, debout devant eux, trois ou quatre individus lourdement armés dont l'un, sans doute le chef de bande, tient dans sa main droite, outre son arme, une chicotte dont il frappe violemment l'un des citoyens à terre malgré ses supplications.
Ce chicoteur ignorait évidemment qu'il anticipait les conseils que, quelques semaines plus tard, Tiburce Koffi prodiguera à quelques-uns de ses collègues sur la scène même d'un incident de rue dont il était le témoin… Mais – et j'ose à peine l'écrire –, il se peut aussi que ce soit le chicoteur qui inspira l'intellectuel…
« Ce week-end, nous conte T. Koffi, j'ai fait l'expérience du bien-fondé de la répression : feu rouge à un carrefour. Nous sommes tous immobilisés. Un conducteur de wôrô wôrô, au mépris des feux, passe. Comme tout le monde, j'observe, écœuré et impuissant, la scène. Soudain, sortent de l'ombre, cinq éléments des Frci qui suivaient, cachés, les manœuvres des conducteurs indélicats. Ils font sortir le conducteur de sa voiture, lui retirent ses pièces. Je sors, moi aussi, de ma voiture, et je les rejoins. Je leur explique qu'il est inutile de lui arracher ses pièces, car il a les moyens aussi bien légaux qu'illégaux de les retirer et pis, de récidiver ! Que faire alors ? Je leur propose une autre solution : qu'ils ôtent le pantalon du délinquant et qu'ils le flagellent, là, dans l'obscurité, jusqu'à ce qu'il urine sur lui, devant nous ! La méthode leur a paru curieuse, voire douteuse. Je les ai rassurés de son efficacité en leur disant qu'elle s'appelait d'ailleurs MGO (Méthode Gaston Ouassénan – du nom de son illustre inventeur, général d'armée de son état). Après mon bref exposé scientifique sur la question, l'un d'entre eux (ça devait être le chef) a mis en pratique mes consignes. Ensemble, nous nous sommes délectés des cris de douleur du délinquant. Oui, ce fut un agréable supplice ! Puis, celui qui semblait être le chef a dit : "Kôrô, on dirait que tu as raison, dêh ! Ça là, mogo-là ne va plus jamais griller feu dans pays là !" La flagellation publique comme punition légale aux contrevenants ? Songeons-y sérieusement ! » (Fraternité Matin)
Ainsi, non seulement l'houphouétiste d'aujourd'hui, et jusqu'à un houphouétiste d'élite comme Tiburce Koffi, regarde de telles pratiques sans s'émouvoir, mais encore il en redemande ! Gageons que, contrairement à lui, les non houphouétistes, surtout ceux de mon âge et au-delà, éprouvèrent d'étranges sensations à la vue de cette scène… De notre temps on n'en faisait pas des photographies, encore moins des photographies en couleurs, mais de telles scènes étaient, pour ainsi dire, notre pain quotidien. C'était le travail de ceux que nous appelions avec mépris les « gardes froko », ces exécuteurs des basses œuvres des administrateurs coloniaux auxquels, il y a cinquante et un an, « l'indépendance façon » d'Houphouët a substitué ses sous-préfets et ses préfets…

Cette scène d'un autre temps, et le propos de Tiburce Koffi plus encore, confirment la nature néocolonialiste du régime issu du coup de force du 11 avril 2011. En même temps, ils nous disent que cette histoire ne s'est pas terminée avec la funeste journée. Ils nous disent que nos souffrances ne font que commencer, mais aussi, a contrario, que les vainqueurs du 11 avril ne sont pas si sûrs que ça d'en avoir fini avec nous. D'où leur volonté d'instaurer un régime de terreur.

Le président que nous devons à la belliqueuse générosité de Nicolas Sarkozy se serait assigné pour tâche prioritaire la « pacification de la Côte d'Ivoire »… La généralisation de la « méthode Gaston Ouassénan » en vue de la régénérescence civique des Ivoiriens que préconise Tiburce Koffi lui facilitera-t-elle les choses ou les lui compliquera-t-elle plutôt ? Dieu le sait…
« La pacification de la Côte d'Ivoire », c'est aussi le titre du livre dans lequel Gabriel Angoulvant justifiait ses crimes contre nos aïeuls, dont ses compatriotes convoitaient les terres, le sous-sol, les forêts et la force de travail, et qui n'entendaient pas se laisser faire. Ce mot de pacification et les différentes pratiques qui vont avec, comme les meurtres de masse et les autres formes de sévices corporels sont donc très intimement liés à notre mise en dépendance. Et nous sommes paraît-il devenus indépendants depuis cinquante et un ans. Cinquante et un ans pendant lesquels, à voir les agissements des « Frères Cissé » ou à lire Tiburce Koffi, leur Solon, nous n'aurions donc fait que tourner en rond jusqu'à retomber, dès le lendemain du 11 avril 2011, dans l'époque des « gardes froko » chicoteurs et des gouverneurs pacificateurs.
Au lendemain du 11 avril, beaucoup comparaient l'atmosphère qui régnait dans Abidjan et dans le reste du pays à ce que les Ivoiriens ont vécu en 1963-1964, voire en 1949-1950. La comparaison serait vraie si, après le 11 avril, les Ivoiriens qui résistaient à ce coup d'Etat au long cours (2002-2011) avaient renoncé et s'étaient couchés. Or il n'en fut rien. Les nombreux exilés civils et militaires ont, pour ainsi, voté avec leurs pieds en faveur d'une résistance sans concessions. A l'intérieur du pays aussi les signes se multiplient qu'une volonté chaque jour plus déterminée de résister au nouvel ordre est à l'œuvre. A preuve, le refus général de nos compatriotes de toutes les régions, de toutes les ethnies et de toutes les confessions de participer à la mascarade électorale du 11 décembre. Au fait, où donc étaient passées ces foules compactes qui auraient plébiscité Alassane Ouattara, le 28 novembre 2010 ?
En fait, la seule époque qu'on pourrait comparer à celle que nous vivons depuis le 11 avril, c'est celle qui correspond aux règnes d'Angoulvant et de ses successeurs immédiats, c'est-à-dire grosso modo aux années 1908 à 1920. Epoque qui vit nos aïeuls perdre, sous la pression des Français poussant déjà devant eux leurs mercenaires sahéliens, leur liberté en même temps que leurs droits naturels sur leurs propres terres. Les colonisateurs voulaient des peuples entièrement à leur merci. Ils renversaient partout les dynasties légitimes et, à leur place, ils instauraient des fantoches qu'ils choisissaient de préférence parmi les déracinés, les corrompus et les lâches. Telle fut l'origine de la plupart des chefferies, notamment les chefferies dites « de canton », à travers lesquelles les Français exploitaient leurs conquêtes. Chez nous, grâce à la complicité de l'ancien chef de canton Félix Houphouët, que certains s'obstinent toujours à décorer du titre de père de l'indépendance, ce système fut prolongé très au-delà de ce qu'on nous donna pour une « décolonisation ».
Sous le régime colonial direct, comme sous celui de cette fausse indépendance, les Ivoiriens tentèrent plus d'une fois de secouer le joug. Parfois même, comme à la fin des années 1940 ou en 1960, ils purent croire que le jour de leur libération était arrivé. Mais ils déchantèrent. C'est dans ce sens, et seulement dans ce sens, que les événements de la décennie 2000-2011 sont comparables à ceux de 1944-1950 ou de 1960-1963. Mais il y a quelque chose qui les en différencie radicalement : les Ivoiriens d'aujourd'hui ne sont plus enclins à se laisser faire comme l'étaient ceux de 1950 ou de 1963.
En 1950, nous nous réveillions à peine de la longue nuit coloniale. Peu nombreux étaient ceux d'entre nous qui avaient à la fois une idée claire de nos droits et une volonté bien arrêtée de les recouvrer. Du moins, ceux qui en avaient une idée claire n'étaient pas nécessairement les mêmes qui étaient animés de la volonté de les recouvrer à quelque prix que ce fût. Si beaucoup se montrèrent capables de consentir les plus grands sacrifices, la société dans son ensemble n'était point préparée à affronter la machine de propagande et de répression des colonialistes. Et les chefs qu'ils s'étaient choisis étaient en réalité, ou peu désireux ou tout bonnement incapables de les mener jusqu'au point où ils rêvaient d'atteindre. C'est ainsi que le formidable mouvement insurrectionnel des dernières années 1940 fut vaincu autant par la trahison de son principal dirigeant que par la féroce répression des colonialistes français.
De 1960 à 1963, les toutes premières années de la fausse indépendance furent des années d'immenses illusions. Nous croyions que nous étions entre nous seulement, libres de faire ce que nous voulions et ce que nous croyions devoir faire chez nous, par nous-mêmes, pour nous. Et nous croyions aussi que celui qui nous avait déjà trahis dix ans auparavant était redevenu digne de notre confiance pleine et entière avec l'indépendance qu'il avait solennellement proclamée. Or il avait toujours parti lié avec nos oppresseurs, lesquels, pour leur part, n'étaient point décidés, indépendance ou pas, à nous céder la moindre parcelle du pouvoir qu'ils s'étaient arrogé sur nous. Et, une fois de plus, nous fumes trahis et vaincus. Dans les deux cas, la défaite nous laissa sans réaction, en sorte que nos vainqueurs purent faire dans le pays tout ce qu'ils voulurent des années durant sans être contrariés.
Aujourd'hui au contraire, et alors que la bataille a été d'une brutalité inouïe, les vainqueurs n'ont joui d'une supériorité psychologique que durant quelques semaines à peine. Et les vaincus ne se sont pas couchés. Ils ne se sont pas avoués vaincus. Comme l'autre, ils pourraient dire avec raison qu'ils ont certes perdu une bataille, mais qu'ils n'ont pas perdu la guerre.
Hier, le traître au pouvoir n'avait pas à se donner beaucoup de peine pour nous leurrer parce qu'il agissait sous le masque de l'anticolonialisme symbolisé par le sigle « Pdci-Rda ». Aujourd'hui, s'ils sont toujours au service des intérêts de la France plutôt qu'au service des Ivoiriens, Ouattara, Bédié et consort sont forcés d'agir sous leur vrai visage et, au-delà de leurs serments et de leurs promesses, tout le monde peut voir qui ils sont vraiment, comment ils fonctionnent et qui les manipule.
Jamais les auteurs de nos malheurs n'ont été aussi bien identifiés qu'en cette année 2011. Jamais les enjeux de la lutte séculaire des Ivoiriens pour recouvrer leurs droits spoliés n'ont été aussi clairement perçus par eux que depuis que la France, entraînant avec elle une administration des Nations unies aux ordres d'un quasi apatride, nous a imposé par la force un ersatz d'Houphouët et de son régime de trahison nationale. Aujourd'hui les Ivoiriens savent bien ce qu'ils veulent. Ils ont vu les ruses, les manœuvres sournoises, les violences ouvertes, grâce à quoi les colonialistes les ont une fois encore frustrés de ce qu'ils savent être leur dû. Cette fois encore ils ont été vaincus, mais ils ne sont pas résignés. Ils ne peuvent pas se résigner. Plus jamais ils ne se résigneront.
Je ne dis pas que les mois, les années qui viennent seront de tout repos. Au contraire, il nous faudra encore accepter des sacrifices et subir toutes sortes d'avanies. Ils se sont abattus sur nos villes et nos villages comme une nuée de sauterelles. Observons ces nouveaux députés issus de la farce électorale du 11 décembre : ils seraient incapables de dire à quoi sert un député. Mais quelle importance ? De toute façon, leur programme sera concocté à Paris et il leur sera dicté au fur et à mesure par le gauleiter Simon. Eux ne sont là que pour « manger ». Ils « mangeront » donc, et ils s'acharneront sur tous ceux qui voudront les en empêcher. Donc il faut bien savoir que plus nous leur résisterons, plus ils redoubleront leurs violences. Mais, l'essentiel, c'est que nous résisterons, comme d'habitude. Car si la « pacification », avec tout ce qu'elle signifie de crimes impunis, est une constante dans notre histoire, il y a aussi cette autre chose qui toujours l'accompagne, comme sa résultante ou son corollaire : notre résistance !
Marcel Amondji

mardi 13 décembre 2011

Un symbole national disparaît



Présidente fondatrice de la Nouvelle COCOPROVI, membre du Conseil économique et social, vice-présidente du Conseil général de Zuénoula, Irié Madeleine Zamblé-Lou nous a quittés dans la nuit du 27 novembre 2011. Celle qui était, depuis 1996, un véritable monument national sera inhumée à Manfla, département de Gohitafla, le 17 décembre.

A la fin de chaque année, le quotidien gouvernemental Ivoir'Soir, aujourd'hui disparu, invitait ses lecteurs à désigner « l'homme de l'année », c'est-à-dire la personne qui s'était particulièrement signalée au cours de l'année soit par son civisme, soit par un exploit sportif particulièrement remarquable. Pour 1996, à la surprise des organisateurs, leur choix se porta sur une femme, disait ce journal, « courageuse quoique analphabète ».
Cette femme, c'était Madeleine Zamblé-lou Irié, la présidente de la Coopérative de commercialisation des produits vivriers (COCOPROVI), et la principale animatrice du « marché gouro » d'Adjamé. Un marché qu'elle avait fondé presque seule, en 1983, sur un terrain public concédé à l'amiable par le maire de l'époque et qui, au fil des ans, était devenu une véritable institution nationale.
Ce qui lui valut cette distinction, c'est la victoire qu'elle avait remportée quelques semaines plus tôt sur un certain Kalil Farès, Ivoirien d'origine libanaise et commerçant cossu – c'est presque un pléonasme –, qui prétendait déguerpir le « marché gouro » de l'espace qu'il occupait en brandissant, outre un titre de concession en bonne et due forme à lui attribué par le ministère de l'Environnement, de la Construction et de l'Urbanisme, un alléchant « projet d'investissement » dans lequel devaient participer, selon lui, des bailleurs de fonds basés en Suisse et en France… Le genre d'argument auquel les soi-disant décideurs ivoiriens profilés Houphouët étaient incapables de résister !
L'affaire était déjà aux mains de la Justice et menaçait de mal tourner pour la COCOPROVI, qui ne pouvait produire aucun titre légal d'occupation, quand, devant la détermination des coopératrices soutenues par la population, l'Etat en la personne de son chef, alors Henri Konan Bédié, se vit obligé de prendre position : « le « marché gouro » restera à sa place, pour le moment, et on trouvera un autre terrain pour les mirobolants « projets d'investissement» du citoyen Farès… ». Ce qui s'appelle couper la poire en deux !
Recevant une délégation des marchandes venues le remercier au lendemain de son arbitrage, Bédié leur intima l'ordre de ne plus « faire de la politique au marché ». Le choix des lecteurs d'Ivoir'Soir était au contraire un encouragement à en faire. « Il est important, précisait l'un d'eux, à l'heure où l'on crie : ivoirité, patriotisme, que l'Ivoirien puisse choisir la personne qui incarne le mieux ce modèle». Ce sont de ces petits faits qui montrent qu'une opinion publique informée, vigilante et indépendante des appareils politiques, commençait à faire sentir son influence sur les attitudes et les décisions des hommes au pouvoir.
Cependant, l'affaire ne prit pas fin avec l'arbitrage ambigu de Bédié. Le nommé Kalil Farès revint souvent à la charge sans toutefois réussir à déguerpir le « marche gouro ». Bien après la chute de Bédié, quand Charles Konan banny devint Premier ministre, un Premier ministre dont apparemment beaucoup d'affairistes espéraient toutes sortes de faveurs, Farès lui adressa une missive dans laquelle il se plaignait amèrement de ce qu'il considérait toujours comme une injustice dont il était la victime : « C'est moi qui suis le propriétaire du terrain sis à l'ilôt n° 82 à Adjamé-Nord, lopin de terre appelé communément « marché gouro ». Mon affaire a défrayé la chronique en 1996. En effet, j'ai acquis en 1992, sous l'ère du ministre de la Construction M. Ezan Akélé, l'arrêté N° 265 M.E.C.U D.CU SDAHPC m'accordant le permis de construire et inscrit au journal officiel N° 23 du jeudi 8 juin 1995 puis légalisé par le secrétariat général du gouvernement. Et un conseil des ministres a prouvé que le terrain m'appartient. » Rien n'indique que ce processif opiniâtre Libano-Ivoirien eut plus de succès avec C. Konan Banny qu'avec ses prédécesseurs. Et c'est la meilleure preuve que la résistance des femmes du « marché gouro » n'avait pas été vaine.
Quant à Madeleine Zamblé Lou Irié, après l'épisode glorieux de 1996, elle connut quelques déboires sérieux, qui n'étaient sans doute pas sans rapports avec sa fonction et son rôle d'animatrice du « marché gouro ». En effet, peu de temps après sa consécration, sa maison brûla avec tout ce qu'elle contenait. Elle-même et sa fille faillirent y perdre la vie. Mais ce ne fut pas assez pour lui faire perdre courage ni pour la faire renoncer à son combat.

Madeleine Irié, ton histoire nous rappelle que seule la lutte paie.
Repose en paix.
Marcel Amondji

samedi 10 décembre 2011

Déclaration du Réseau de la Gauche africaine sur l'extradition du président Gbagbo

Deux jours seulement après la clôture du 3e Forum du Réseau de la Gauche Africaine (ALNEF), tenu à Bamako du 25 au 27 novembre, nous apprenions que le président Laurent Gbagbo, renversé le 11 avril 2011 par les forces d’occupation françaises en Côte d’Ivoire, est déporté à la Haye pour dit-on, « y répondre des accusations de crimes contre l’humanité» portées par le procureur de la CPI, le très controversé Luis Moreno-Ocampo. Nous avons souvenance que dès l’éclatement de la crise électorale en décembre 2010 en Côte d’Ivoire, le procureur de la CPI avait déjà condamné Gbagbo en déclarant notamment que ce dernier sera «tenu pour responsable de toutes les violations des droits de l’Homme au cours de la crise». En condamnant Mr Gbagbo alors que les supposés crimes dont il est accusé n’avaient pas encore eu lieu, Mr Ocampo laissait clairement apparaître un parti-pris dans la crise en Côte d’Ivoire, en violation flagrante de l’esprit de neutralité qui devrait caractériser une institution comme la CPI.

La CPI n’a commencé ses enquêtes sur d’éventuelles violations des droits humains pendant la crise postélectorale en Côte d’Ivoire qu’au cours du mois d’octobre 2011 et ces enquêtes se poursuivent encore en ce moment. La célérité et la précipitation dans lesquelles le transfèrement de Laurent Gbagbo s’est fait, sont extrêmement préoccupantes et font craindre une instrumentalisation de la justice internationale à des fins politiques.
Les rapports des organisations de défense des droits humains accusent aussi bien les forces fidèles à Monsieur Gbagbo que celles de Messieurs Soro et Ouattara, d’avoir « commis des massacres contre les populations civiles » au cours de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Mr Gbagbo a été transféré à la Haye pour répondre d’éventuels crimes qu’auraient commis des forces à lui restées fidèles. Quid de Messieurs Alassane Ouattara et Guillaume Soro, dont les forces sont également accusées chaque jour de commettre des atrocités les plus inimaginables sur les populations civiles et les opposants? Pourquoi cette impunité dont jouissent le duo Soro-Ouattara et leurs forces ?
Il est également opportun de rappeler qu’en novembre 2004, sur ordre de l’ancien Président Français Jacques Chirac, 64 citoyens ivoiriens avaient été massacrés par l’armée française devant l’Hôtel Ivoire à Abidjan. En Avril 2011, le Chef de l’Etat Français, Nicolas Sarkozy a ordonné les bombardements de l’armée française sur le palais présidentiel ivoirien et les camps militaires à Abidjan, faisant de nombreux morts dont le chiffre exact n’est pas encore connu. La mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire et les organisations de défense des droits humains ont accusé les forces républicaines de Messieurs Soro et Ouattara d’avoir massacré froidement plus de 800 personnes, après leur entrée à Duékoué le 30 mars 2010. Le journal français Le Canard Enchaîné du 06 avril 2011 accuse d’ailleurs les autorités françaises d’avoir appuyé logistiquement les forces de Mr Ouattara qui ont commis des massacres à Duékoué, en leur « fournissant des munitions et des fusils d’assauts de type FAMA ».
Pourquoi le procureur de la CPI ferme-t-il les yeux sur ces crimes de Chirac, Sarkozy et des forces françaises en Côte d’Ivoire ? La CPI n’est-elle compétente que pour les Africains ?
L’ALNEF s’étonne donc de ce que seul Monsieur Gbagbo ait été déféré à la CPI alors qu’aucun officiel français ni aucun membre du régime Ouattara n’aient jusqu’à présent été inquiétés.
En tout état de cause, le transfèrement quasi-clandestin de Gbagbo à La Haye ne va pas contribuer à apaiser une situation nationale toujours très tendue en Côte d’Ivoire et caractérisée par :
- la tenue d’élections législatives dans des conditions frauduleuses avec une Commission Electorale totalement aux ordres du gouvernement et l’exclusion de l’opposition politique;
- la misère endémique dans laquelle est plongé le peuple de Côte d’Ivoire alors que l’impérialisme français, à travers ses multinationales, pille ouvertement les richesses du pays sous le prétexte de la «reconstruction»;
- la détention arbitraire de centaines de prisonniers politiques, militants du FPI ou d’anciens collaborateurs et des membres de la famille de Monsieur Gbagbo;
- les exécutions sommaires perpétrées par les FRCI de Monsieur Ouattara contre les militants de l’opposition et les partisans présumés de Monsieur Gbagbo;
- les violations flagrantes des libertés de manifestations avec l’interdiction de fait des meetings de l’opposition et des agressions ouvertes contre les militants de l’opposition;
- les entraves à la liberté de la presse avec des menaces de mort et des emprisonnements de journalistes de la presse de l’opposition;
Considérant ce qui précède:
L’ALNEF condamne fermement le transfèrement de Mr Gbagbo á la Haye et craint qu’une justice sélective et orientée de la part de la CPI, ne discrédite à jamais cette institution, dont la création avait pourtant été saluée par les Organisations de défense des droits Humains;
L’ALNEF redoute que le transfèrement de Gbagbo et la chasse à l’Homme dont sont victimes ses partisans en Côte d’Ivoire, ne ravive les tensions et entraine la reprise de la guerre civile dans le pays;
L’ALNEF appelle au report des élections législatives jusqu’à ce qu’un climat apaisé soit crée et une Commission électorale véritablement indépendante soit mise sur pied pour garantir un scrutin juste et équitable;
L’ALNEF appelle l’Union Africaine et les gouvernements africains à se retirer du traité de Rome, dont la preuve est aujourd’hui faite, qu’il s’agit d’un machin créé uniquement pour servir les intérêts politiques des puissances impérialistes et non la protection des droits humains;
L’ALNEF appelle le régime Soro-Ouattara, à cesser toutes les exactions contre les opposants et les journalistes et à garantir l’exercice de toutes les libertés démocratiques, acquises de haute lutte par le peuple de Côte d’Ivoire;
Enfin, L’ALNEF apporte son soutien aux masses laborieuses et aux forces progressistes de Côte d’Ivoire dans leurs luttes pour la défense des libertés, de la démocratie et de l’Etat de droit.
La lutte continue !

Fait à Johannesburg le 06 décembre 2011
Chris Matlhako, Coordonnateur du Réseau de la Gauche Africaine (ALNEF), South African Communist Party (SACP)
 Source : Ivorian.Net-9/12/2011

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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson de ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «crise ivoirienne ». le-cercle-victor-biaka-boda

mercredi 7 décembre 2011

Service minimum

"Houphouët : il y a 18 ans"
Nord-Sud 07 décembre 2011

"Il y a 18 ans que le père de la nation, Félix Houphouët-Boigny tirait sa révérence. Occupés à battre campagne sur fond de rivalités « familiales », ses disciples pourront-ils, cette année, lui rendre hommage comme ils ont pris l’habitude de le faire ? Difficile de le dire. Pour rappel, c’est le 7 décembre 1993 (date à laquelle était commémorée la fête d’indépendance) que le premier président ivoirien a quitté le monde des vivants."


***
Voilà donc tout ce qu’il en reste, même chez ceux qui ont fait de son nom et de son image leur fonds de commerce… Ils font comme si…, mais on voit bien que le cœur n’y est plus. Sinon, comment comprendre qu’en ce dix-huitième anniversaire de sa mort, les journaux proches du « Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix » (Rhdp), y compris le gouvernemental Fraternité Matin, ne lui aient consacré que quelques lignes au bas d’une page intérieure ? Contrairement à ce que dit le quotidien Nord-Sud, proche des soi-disant « Forces nouvelles », ce n’est pas seulement à cause de la campagne des législatives qui vient de commencer dans une remarquable indifférence des populations. La réalité, c’est que dans la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui, à part l’ambassadeur Jean-Marc Simon – et encore ! –, personne n’a vraiment intérêt à se réclamer d’Houphouët.

Marcel Amondji