mardi 27 septembre 2011

QUAND DJÉNI KOBINA FAISAIT LE LIT D’ALASSANE OUATTARA


L'événement le plus remarqué de la rentrée politique 1994, ce fut incontestablement la conférence de presse de Djéni Kobina annonçant la création du Rassemblement des républicains (RDR). C'était la toute première manifestation publique de ce parti issu d'une branche du PDCI qui, à force de pencher vers l'opposition d'alors, avait fini par y tomber tout à fait.
L'apparition de ce 41e parti dans un paysage politique déjà pléthorique, était en soi une complication que beaucoup auraient aimé éviter, surtout du côté du PDCI, mais probablement pas seulement de ce côté-là. Se voulant « au centre, ni à gauche ni à droite », quoique son discours fût plus proche de celui de la gauche – c'est du moins ce qu'affirmait son fondateur et porte-parole –, le RDR avait donc par nature vocation à chasser sur les deux territoires selon l'occasion, le climat et l'espérance de gibier.
Djeni Kobina n'en faisait d'ailleurs pas mystère : « Nous sommes centristes. Nous sommes dans l'opposition. Nous sommes un parti autonome. Un parti libre. Nous sommes un parti ouvert. Si demain entre certains partis de gauche et le RDR il y a convergence sur l'essentiel, on peut envisager des alliances. Si demain il y a convergence entre le projet de société du PDCI et celui du RDR, on peut envisager là aussi des alliances ».
La concurrence s'annonçait cependant plus rude pour la gauche, en particulier pour le Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo avec lequel le fondateur du RDR fut longtemps en coquetterie avant de se décider à rouler pour son propre compte. A en juger seulement d'après la position sociale et le passé politique des premières recrues et des premiers ralliements, il ne faisait aucun doute que le RDR pencherait plus souvent, et plus volontiers, à droite qu'à gauche ; autrement dit, qu'il serait plus conservateur que progressiste. Pour cette première manifestation de son parti, Djéni Kobina s'était en effet entouré de fort beaux linges : un ancien ministre d'Etat et son épouse, elle aussi ancien ministre ; plusieurs autres anciens membres du gouvernement Alassane Ouattara ; plusieurs membres du bureau politique du PDCI ; une bonne trentaine de députés de ce même parti, toujours en fonction mais qui avaient peut-être de bonnes raisons de croire que le PDCI ne les soutiendrait pas aux élections législatives qui approchaient ; enfin, il y avait le propre frère aîné d'Alassane Ouattara, et cette présence pouvait signifier que l'ancien Premier ministre, alors l'un des adjoints du Directeur général du FMI, n'était pas étranger à l'éclosion du RDR au moment précis où se multipliaient les grandes et les petites manœuvres en vue des batailles électorales de 1995. L'information donnée par Djéni Kobina à ce sujet ne confirmait pas cette impression, mais elle ne l'infirmait pas non plus vraiment : « M. Alassane Ouattara a quitté le PDCI-RDA parce que ses nouvelles fonctions lui imposent une obligation de réserve. L'homme n'est pas membre du RDR. Il est libre de se présenter à une élection présidentielle. S'il demande notre appui, nous le soutiendrons ».
L'entreprise de Djéni Kobina bénéficia-t-elle du soutien de certains personnages phares de la vie politique ivoirienne ? Interrogé sur les rapports de Philippe Yacé, l'ancien dauphin déchu, avec son initiative, Djeni Kobina répondit : « Aucun parti politique ne peut accepter une scission, et donc le président du Conseil économique et social a eu des contacts avec nous ». Réponse un rien perfide, dans laquelle les ennemis de Yacé ne manquèrent pas de voir la preuve de sa collusion avec les fossoyeurs du PDCI. La suite devait d'ailleurs montrer qu'il n'en était pas tout à fait innocent. Certes, ce n'était Yacé lui-même, mais son inamovible directeur de cabinet – j'allais écrire : son Guy Nairay –, le Français Marcel Jacques Gross, qui tirait les ficelles au bout desquelles Djéni Kobina gigotait. Après le lancement réussi du RDR, on retrouvera l'entreprenant Marcel Jacques Gross, avec le titre de… directeur de cabinet associé, dans l'entourage immédiat d'Alassane Ouattara lorsque, en 1998, il fera du RDR son cheval de bataille en vue d'assouvir son rêve de s'emparer de la Côte d'Ivoire. Puis il en disparaîtra sans qu'on sache pourquoi. Puis il réapparaîtra dans le jeu politique ivoirien à l'automne 2010, mais cette fois, comme communiquant au service de la campagne de Laurent Gbagbo ! Entre temps il aurait même joué le rôle de conseiller occulte auprès du général putschiste Robert Guéi.
Cette première manifestation publique n'avait pas levé tous les mystères qui enveloppaient le RDR. Beaucoup de ces mystères tenaient à l'équation personnelle de Djeni Kobina. On doit à feu Bernard Ahua, l'une des plus belles plumes journalistiques de sa génération, ce portrait-épitaphe acidulé du fondateur du RDR : « M. Djeni Kobina fut, plus que quiconque, un homme contrasté et pluriel, au destin souvent marqué par des sinuosités diverses, aux contours qui, parfois, furent qualifiés de compliqués par des hommes et des femmes qui, plus tard, le retrouvèrent dans des conditions qu'ils ne pouvaient alors prévoir. (…) Tout cela avec d'autant plus de mérite que s'il faut parler de courage, le concernant, ce sera sans oublier qu'il n'était pas taillé dans le même bois qu'un Gbagbo Laurent, que les épreuves ont souvent renforcé, alors que celles qu'ils subirent ensemble en 1971-73, provoquèrent chez l'illustre défunt, de profondes angoisses qui ne devaient plus jamais le quitter. Ce qui rend d'autant plus remarquables et touchantes les dernières années de sa vie : comment un homme qui craignait tant de retourner en prison, put-il prendre les risques qu'il prit parfois, à partir de 1990 ? (…) » (Fraternité Matin 28/10/1998). Sous l'élégance des mots, on comprend que le fougueux réformateur de 1994 n'était pas vraiment un foudre de guerre. D'ailleurs, la belle carrière de Djéni Kobina dans la haute fonction publique – en dépit de quelques menues erreurs de jeunesse qui lui valurent la prison et l'enrôlement forcé dans l'armée – le situe clairement comme un houphouétiste bon teint très bien intégré au système. Où donc puisa-t-il l'énergie qui lui permit de défier le pouvoir de Bédié ? Mystère…
Pressé de questions au sujet de ses motivations, l'habile Djéni Kobina s'en tira comme à son habitude par une salve de clichés et de lieux communs : « Le RDR veut participer à la marche pacifique de notre pays vers davantage de démocratie, de liberté, de justice. Afin qu'il se construise dans l'unité et la paix. Le RDR veut rassembler tous ceux qui pensent que la démocratie n'est jamais une donnée immédiate, que sa première condition est d'être inachevée par essence ; et donc qu'elle est toujours à parfaire, qu'elle ne se construit pas nécessairement dans une arène ». Cette dernière phrase était probablement une prise de distance par rapport à une idée, défendue alors notamment par le Parti ivoirien des travailleurs (PIT), à savoir que seule une conférence ou une concertation nationale pouvait permettre d'en finir réellement avec la grave crise politique qui avait éclaté au grand jour en 1990, mais qui en réalité minait la Côte d'Ivoire depuis la fin des années 1970. Mais ce scissionniste, qui n'en était plus à une contradiction près, ne s'en présentait pas moins comme un homme qui ne rêvait que d'« inventer une véritable culture du compromis et du consensus hors desquels aucune démocratie ne peut être viable ».
Durant sa conférence de presse, le fondateur apparent du RDR n'eut pas un mot pour évoquer les plaies qui rongeaient la société ivoirienne : l'insécurité généralisée, l'inefficacité d'une police gangrenée par la corruption et les sottes rivalités de ses différents services, la grande misère du système de santé, les évolutions dangereuses que connaissaient les forces armées depuis les mutineries de 1990, la déliquescence du système éducatif. A quoi s'ajoutaient les ravages du SIDA, du paludisme, etc.… Le président Bédié venait, il est vrai, de promettre un nouveau miracle économique. Mais, pour le croire il fallait une grande confiance dans sa sincérité et/ou dans ses capacités, et ce n'était pas précisément ce qui caractérisait Djéni Kobina et ses associés.
Le RDR avait-il vraiment un projet de société opposable à celui du PDCI alors au pouvoir ? Pour autant que ce dernier en eût jamais eu, évidemment ; car, quoi qu'on pense d'Houphouët, de ses ministres et de ses préfets, quand on voit les effets de trente-trois ans d'houphouétisme absolu sur le tissu social de la Côte d'Ivoire, il est difficile de croire qu'ils l'ont fait d'après un plan bien arrêté ! Questionné à ce sujet, Djéni Kobina répondit que le projet de société du RDR était en cours d'élaboration. Réponse surprenante ! C'est que cela faisait cinq pleines années déjà qu'on savait que le projet de société de Djéni Kobina était en chantier ! Dès le mois de juin 1990, c'est-à-dire au moment précis où Houphouët décidait de reprendre l'initiative après sa longue bouderie consécutive au Printemps ivoirien, dans son fameux « Appel à la rénovation du PDCI-RDA » – lancé avec la bénédiction d'Houphouët ; car, décidément, il n'y a pas de hasard ! –, Djeni Kobina écrivait : « Le groupe [des rénovateurs] conscient de l'importante responsabilité dont il vient d'être investi, travaille quotidiennement pour [entre autres tâches urgentes] élaborer un projet de société ». Et voici que, cinq années plus tard, l'élaboration n'en était pas encore terminée ! Fallait-il en conclure que, à l'instar de Pénélope, Djéni Kobina défaisait la nuit ce qu'il élaborait le jour ? Ou bien était-ce tout simplement parce qu'il n'avait rien à reprocher au bilan social d'Houphouët ? Il suffisait de constater la prospérité des premiers adhérents du RDR pour deviner la bonne réponse.
Aujourd'hui, il n'est plus possible d'ignorer que la création du RDR faisait partie d'une vaste conspiration dont l'objectif final, atteint le 11 avril 2011, était la forclusion des citoyens naturels de la Côte d'Ivoire ! Le premier acte de cette conspiration avait eu lieu le 7 décembre 1993, lorsque Ouattara tenta de s'emparer frauduleusement du pouvoir devenu vacant après l'annonce du décès de Félix Houphouët. Cette première entreprise fut la brèche par laquelle le ver de la trahison entra et s'installa peu à peu dans le fruit jusqu'à l'envahir complètement. Tous les drames que la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens ont vécus depuis 1999 ont leur origine dans ce premier attentat inabouti, mais qui resta impuni. Le coup d'Etat du général Guéi, comme la tentative avortée de la nuit du 18 au 19 septembre 2002, ne visaient qu'un seul objectif : livrer la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens poings et pieds liés aux néocolonialistes français dissimulés, aujourd'hui, derrière le masque d'Alassane Ouattara comme ils l'étaient, hier, derrière celui de Félix Houphouët.
Marcel AMONDJI (27 septembre 2011)

vendredi 23 septembre 2011

"Lors du dernier congrès du Pdci-Rda, j'avais indiqué que nous n'avions pas d'armée..."

LA DERNIERE INTERVIEW DU GÉNÉRAL BERTIN ZÉZÉ BAROUAN, ANCIEN CHEF D'ETAT-MAJOR DES FORCES NATIONALES DE CÔTE D'IVOIRE (1979-1987).
Le soir du 22 septembre 2002, soit trois jours après le début du coup d'Etat le plus long de toute l'histoire (2002-2011), le général Barouan, un ancien chef d'état-major des Fanci, lançait un appel à la résistance en direction des officiers, sous-officiers et soldats loyalistes. Puis il regagna sa retraite discrète et silencieuse de Daloa, jusqu’à cet entretien qu'il accorda en 2003, quatre ans avant son décès, au journal "Le Front", où il se prononce sans langue de bois sur la situation politique du pays et sur l'état de son armée. 
Le Front : mon général, ainsi donc vous n’êtes pas mort comme l’ont prétendu des mauvaises rumeurs, Dieu soit loué !
Vous le voyez vous-même, je ne suis pas mort, je suis virant. Puisque vous me posez des questions.
Votre dernière apparition publique remonte à septembre 2002. Presque un an jour pour jour, on vous annoncé officiellement à la tête des opérations militaires des Fanci,, quelques jours après l’insurrection armée du 19 septembre. Comment en êtes-vous arrivé là, mon général ?
Le ministre de la Défense nous a convoqués le 22 septembre à son bureau avec tous les officiers. C'est à ce titre-là que j’ai été au ministère de la Défense. Et comme j’étais le plus ancien dans le grade le plus élevé, j'ai donc eu l'honneur de prendre la parole au nom de tous les officiers. Ce qui m'a amené a présenter le bataillon de commandement et du service (BCS) au ministre de la Défense d'alors. Voilà.
Comment expliquez-vous cette présence aux côtés des Fanci alors que Doué Mathias, généra/ chef d’état-major en service n'était pas disqualifié ?
II y a deux choses différentes qu'il faut absolument dissocier. Il y a l’état-major des Forces armées dont le chef est le général Doué. Et puis, il y a le ministère de la Défense. Nous faisons, nous, partie des effectifs du ministère de la Défense. C'est à ce titre que le ministre nous a convoqués.
Beaucoup ont pourtant vu dans votre réflexe, celui d'un grand frère qui venait  « sauver »  son petit frère de la même tribu. Etait-ce cela le sens de votre démarche ?
Je dis qu'il ne faut pas extrapoler. Le ministre de la Défense nous a convoqués pour peut-être nous présenter la situation telle qu'elle était. Pour que certainement chacun donne ce qu'il pense de la situation. Et donc nous avons pris un certain nombre de résolutions que nous avons soumises au ministre. Notre rôle s'arrête là, au niveau du ministère. C'est le ministre qui prend les décisions. S'il voulait prendre des officiers à la retraite pour les mettre quelque part, il l'aurait fait. Mais tel n'a pas été le cas.
Au niveau précis dont vous parlez, qu’avez-vous fait concrètement pour l’armée régulière ?
Voyons, je répète que je n'étais pas à !a tête des Farci. Ne mélangeons pas les choses. Je vous ai situé le ministère de la Défense dont nous faisons partie par rapport à l'état-major qui est à part. A notre niveau, lorsque le ministre nous a présenté la situation, nous avons fait une déclaration de soutien aux forces armées de notre pays, au ministre de la Défense, et au président de la République. Cela n'a rien à voir avec le commandement de l'armée. Pour être là-bas, il faudra que te ministre me rappelle et qu'il me sorte tes effectifs des réservistes. Mais tel n'a pas été le cas. Nous avons fait cette déclaration pour marquer notre soutien aux forces armées et leur dire que nous étions prêts à tout moment pour tout ce que déciderait le ministre de fa Défense. Notre intention s'arrête là.
Connaissez-vous les colonels Bakayoko, Michel Gueu et autres soldats Tuo Fozié, Chérif Ousmane... ?
il y a parmi ces militaires, des officiers que j'ai bien appréciés, tels que Michel Gueu. Beaucoup de ces officiers sont de ma formation. Vous savez, la politique a gagné l'armée. Depuis un certain moment des militaires prennent position dans des débats politiques. Ceux-là étaient au nord, où ils étaient facilement touchables. Est-ce que le bureau de suivi et de sécurité militaire de l'état-major marchait ? On devrait dénombrer ceux qui sont avec tel ou tel politicien pour prendre en conséquence des dispositions. Ceux-là étaient au nord. Peut-être ont-ils été touchés plutôt là-bas et certains d'entre eux tués Ceux qui n'ont pas voulu se faire tuer, sont passés du côte de la rébellion. Ce qui est possible. Mais, je ne peux pas dire moi, pourquoi tel est passé là-bas et tel autre n'est pas venu ici. II y en a d'autres qui ont pris le fuite pour venir par ici. Chacun a ses raisons. Je pense que c'est à ces officiers que la question revient : « Vous étiez ici, pourquoi est-ce que vous êtes passés de l'autre côté ? Demain vous serez rappelés dans les Fanci, qu’elle est votre position ? » C'est a cette interrogation qu'ils doivent répondre.
En tant que doyen des Forces armées ivoiriennes, pensez-vous que votre réaction du 22 septembre 2002 était appropriée ? Cette guerre était réellement la vôtre ?
il y a des choses qu'il convient de savoir et j’insiste : il faut dépolitiser l’armée. Ce sont les hommes politiques qui ont orchestré tout ce que nous vivons. L'armée doit être une armée du peuple, pour le peuple et non contre le peuple. Nous avons tous juré à la sortie des écoles. Celui qui vient prendre une position contre son pays a peut-être ses raisons. Des raisons qui ne sont certainement pas militaires, mais politiques. Je condamne fermement quelles que soient les raisons, la rébellion. Je la condamne parce que ce n'est pas normal et ce n'est pas acceptable dans ce pays. J'ai passé neuf ans à la tête de l'armée en qualité de chef d'état-major. Il y a eu des tentatives de complot, plusieurs tentatives que nous avions réussi à tuer dans l'œuf. On n'a pas dit qu'il n'y a jamais eu de complots au temps d’Houphouët-Boigny. Il y en a eu bel et bien, qui ont été étouffés parce que nous étions renseignés. Je m'interrogeais tantôt si le bureau de sécurité militaire était vraiment en action pour signaler ce genre de choses-là ? Donc moi, personnellement, je condamne. C'est pourquoi au premier appel du ministre je suis allé à Abidjan. Je ne peux pas accepter qu'on soit officier et qu'on se mette contre son pays. Même quand on constate qu'il y a quelque chose qui ne va pas, on le dit à son chef d'état-major On ne doit pas taper sur le dos de notre pays. Ce n'est pas bien.
Vous accusez la classe politique d'avoir politisé l'armée. A qui vous faites allusion et comment pensez-vous que cela a-t-il été possible ?
Je dis que ce sont les politiciens qui ont politisé notre armée. Tous les hommes politiques, sans exclusive. Vous savez bien que certains militaires sont partis avec tel ou tel politicien, tout de même. Vous êtes un Ivoirien non ? Ils se sont partagé les officiers dans les différents partis politiques que nous connaissons. J'ai déjà accusé tout le monde dans le temps, à travers la presse.
Et comment appréciez-vous /'évolution de la situation socio-politique depuis les années 90 jusqu'à cette crise ?
J'apprécie hautement les gestes de la population ivoirienne qui a armé ses forces militaires dans cette crise. On dit : « à quelque chose malheur est bon ». En temps de paix on n'aurait pas vu ça. Aujourd'hui, notre armée a les moyens de la politique de son pays, je l'affirme et je le confirme. Les populations ont donné beaucoup d'argent et il y a eu beaucoup d'achats de matériels de guerre. Je me dois de féliciter hautement ces populations qui ont donné les moyens de faire la politique du peuple ivoirien. Je leur rends hommage. Ce que je tiens à souligner, c'est que depuis quelques années, il y avait déjà une dégradation au sein des forces armées qui a conduit à cette situation. Une dégradation qui a abouti au coup d'Etat de 1999. Et ce coup d'Etat a provoqué ce qui est arrivé en septembre dernier. Parce que le général Guéi avait formé des gens en dehors de l'armée et ces hommes ont demandé a être réintégrés. C'est là le nœud au problème, parce qu'on n'a pas voulu certainement satisfaire à cela. Et c'est ce problème d'intégration dans la l'armée que les politiciens ont récupéré. Vous n'êtes pas sans le savoir vous, journaliste.
Vous n'êtes pas non plus sans savoir, mon général, qu’il y a eu dans ce pays, des décisions politico-judiciaires qui ont été beaucoup décriées par l’opinion nationale et internationale, et qui ont fragilisé l’unité nationale ?
Si vous voulez, je parle d'une situation qui me concerne. C'est-à-dire la situation de l'armée. Il y a même des politiciens qui ont exprimé ouvertement leur satisfaction devant ce qui est arrivé à la Cote d'Ivoire. Je peux citer nommément par exemple Alassane Dramane Ouattara qui, depuis Paris, déclarait qu'il était content de ce qui se passe et qu'il en est le patron. J’avais déjà dénoncé que Ado était le premier ennemi de la Côte d'Ivoire. Il vient de le confirmer par cette réaction.
Vous avez au moins une idée des accords de Marcoussis. Qu'en pensez-vous ?
Je suis à Daloa. Toute réunion qui concerne cette ville et qui ne se tient pas ici, je n'y assiste pas. S'il y a une réunion qui concerne Daloa, on doit la tenir à Daloa et non ailleurs. Pour permettre aux concernés de suivre et de comprendre. C'est le cas de Marcoussis. Une décision qui est prise en dehors de mon pays, rien que sur ce plan, je ne la considère pas. Marcoussis ou pas, une décision qui concerne la Côte d'Ivoire, doit se prendre ici, pour que les Ivoiriens suivent. Mais toute décision conçue dans un autre pays, et qu'on veut appliquer à la Côte d'Ivoire est difficile à accepter. C'est en cela que Marcoussis ne m'intéresse pas.
Marcoussis a été pourtant conçu avec la participation de toutes les forces politiques de la Côte d'Ivoire, au cours d'une table ronde ?
Quand on va ailleurs pour des réunions, on n'a pas la même âme que quand on se réunit chez soi. Vous êtes Ivoirien et vous parlez comme ça (ton élevé) j'ai participé à plusieurs réunions, je sais donc de quoi je parle. Vous ne voyez pas comment Gbagbo parle ? Quand il est ici, il a une âme, mais ailleurs il n'a pas la même âme.
Au-delà de cette considération, quelle analyse faites-vous, 7 mois après la signature des accords de Marcoussis ? Les choses piétinent...
Il y avait une position de la constitution par rapport à Marcoussis. Vous saviez qu'il allait y avoir problème. Gbagbo une fois de retour chez lui, ici, en Côte d'Ivoire, ne pouvait que s'intégrer dans la constitution, ce pourquoi il est président de la République. Vous oubliez ça ? Puisqu'ils n'ont pas réussi a te renverser et à supprimer la constitution. C'était ça leur ambition. Tuer Gbagbo et placer quelqu'un pour préparer les élections. Ils sont passé à côté et lui s'est installé dans sa constitution ; parce qu'il y a des choses contraires à la Constitution dans cette démarche. Alors, que vouliez-vous qu'il choisisse ? Marcoussis à la place de la constitution ? A Paris, il ne leur a pas signifié que tel ou tel point était contraire à la constitution de la Côte d'ivoire. II le savait bien mais n'a rien dit. Puisque le président veut la paix, i! a dit que Marcoussis est un médicament qu'il faille essayer pour voir. Si dans la marche de Marcoussis, l'Etat de Côte d'Ivoire ne le refuse pas, si ça ne rencontre pas de difficultés quelque part, tant mieux. On a essayé le médicament et on a eu la diarrhée. Les difficultés, qu'est-ce que c'est ? Cela veut dire, simplement voir si dans l'application de cet accord, on ne blesse pas la constitution, ni Marcoussis lui-même.
Connaissez-vous le général Ouassénan Koné ? Que retenez-vous de lui, en bien, en mal ?
Voyez-vous, je ne critique pas un ami. II a été deux fois ministre de la Sécurité, il a été commandant supérieur de la gendarmerie. Ce sont les chefs qui l'ont nommé à ces postes, qui l'ont apprécié. Mais moi, je ne suis pas là pour le critiquer.
Oui mais le contexte actuel devait vous amener à le faire, parce que Ouassénan a été proposé par les signataires de Marcoussis au poste de ministre de la Défense. Une proposition à laquelle le président Gbagbo fait objection.
On a proposé beaucoup. Je ne connais pas les conditions d'acceptation, ni les critères de choix. C'est le président de la République qui sait et qui peut accepter telle ou telle personnalité. Il y a plusieurs autres personnalités qu'on a proposées dont vous n'avez pas entendu les noms. Je ne sais pas si l'on fait exprès. Quand Ouassénan dit que c'est lui qui a conduit les opérations à Gagnoa dans l'affaire du Guébié, le président de la République qui est un fils de Gagnoa peut-il accepter de lui confier la gestion de l'armée ? Soyons sérieux quand même. Lui-même a déclaré sur les journaux qu'il était à la tête des opérations de Gagnoa. Comment voulez-vous que Gbagbo puisse accepter de nommer ce dernier au ministère de la Défense ? Soyons raisonnables. Est-ce que devant une telle histoire encore fraîche, on peut te nommer ministre de la Défense ? En plus Ouassénan a frappé un ministre dans son bureau. Ce sont des actes qui militent en sa défaveur. Peut-être, si Gbagbo n'était pas à la tête du pouvoir. Vous voyez bien que c'est clair. Le président lui-même l'a dit, il ne portera jamais sa signature au bas d'une telle décision. Allez donc lui poser la question pourquoi il ne veut pas de Ouassénan.
Votre regard critique d’ancien chef d’état-major sur la  prestation des Fanci pendant cette guerre, cette grande première, mon général ?
Nous les généraux qui avons assuré les hautes fonctions militaires, avons du mal à voir l'armée se dégrader. Je suis déjà intervenu personnellement là-dessus. Mais du temps de Bédié, je faisais partie de la commission défense, sécurité et droits de l'homme lors du dernier congrès du Pdci-Rda. J'avais indiqué que nous n'avions pas d'armée. Les gens qui étaient dans la commission ont tressailli. Ils se demandaient ce qui se passe, pourquoi donc l'armée n'évoluait pas. Les militaires couchent en ville et non au camp, il y a un désordre inouï. J'en ai parlé au chef. C'était mon devoir de le faire. Mais on me répondait : « on verra ça, on verra ça ». Au début même de mon commandement, j'ai demandé que les militaires soient reçus dans les casernes. On m'a rétorqué que s'ils sont dans les casernes, ils feront des complots. Oubliant qu'en ville, les militaires sont plus en contact permanent avec le monde politique. Le résultat c'est cela, c'est ce que nous connaissons aujourd'hui. Mettre les militaires dans les quartiers, c'est le résultat que nous connaissons avec cette guerre.
Vous continuez de réclamer cette condition, celle d’encaserner le soldat plutôt que de le laisser loger en ville ?
Absolument, oui. Si demain le président me demande, je réitérerai ma position. II faut que les militaires aillent dans les casernes. Célibataires, mariés, officiers, tous peuvent loger dans les casernes. Il y a un service de sécurité militaire dans l'armée : c'est-à-dire le renseignement qui surveille le comportement des militaires entre eux-mêmes et leur comportement à l’égard des civils.
Entretien réalisé à Daloa par L. Athanase Sakré (Le Front 30 août 2003)

lundi 19 septembre 2011

Extrait de la déposition de Walter Kansteiner, secrétaire d’Etat adjoint pour les Affaires africaines, devant une commission du Congrès (12 février 2003).

"Nous avons fait savoir à tous les États voisins de la Côte d’Ivoire que nous ne saurions tolérer d’ingérences susceptibles de déstabiliser encore davantage ce pays. Nous, ainsi que d’autres, avons particulièrement souligné ce point au président Compaoré du Burkina Faso et au président Taylor du Liberia. Bien que les deux présidents nient tout lien avec les rebelles et tout appui en leur faveur, les éléments d’information dont nous disposons laissent à penser qu’il y a tout lieu de s’inquiéter et de rester vigilants. Plusieurs des mutins avaient trouvé sanctuaire pendant un certain temps au Burkina Faso, immédiatement avant la tentative de coup d’État. Le degré de coordination et de planification ainsi que l’infrastructure et les armes mises à la disposition des rebelles suggèrent l’existence d’une aide extérieure. Il est certain que des Libériens combattent aux côtés des deux groupes rebelles dans l’Ouest, le long de la frontière libérienne. Bien que le président Taylor affirme s’opposer au conflit en Côte d’Ivoire, il ne fait aucun doute qu’il existe d’importants mouvements à la frontière libério-ivoirienne. Les Libériens ramènent chez eux des articles pillés tandis que les mercenaires passent sans difficulté en Côte d’Ivoire. Je voudrais signaler, en outre, que plusieurs groupes ethniques sont à cheval sur la frontière et qu’il est facile de recruter des guerriers tout disposés à régler de vieux comptes. Nous surveillons attentivement la situation aux frontières de la Côte d’Ivoire et maintenons un haut niveau d’activité diplomatique afin de nous assurer que d’autres États prêtent une attention particulière au comportement des présidents Taylor et Compaoré."
(SOURCE : Bendré (Burkina Faso) 16 février 2003).

dimanche 18 septembre 2011

La Françafrique, mode d'emploi d'une filière occulte

Depuis l'accession à l'indépendance des colonies africaines, les présidents français successifs ont entretenu, à des degrés divers, des relations secrètes et ambiguës avec plusieurs chefs d'État africains. Retour sur cinq décennies d'histoire de l'ombre. 

De rumeurs en affaires, la «Françafrique» est le serpent de mer de la politique étrangère française depuis cinq décennies. Médiatisée dans les années 1990, l'expression désigne les relations spéciales - soutien aux dictatures, coups de force, détournements de fonds, financements illégaux de partis politiques français - que Paris entretient avec plusieurs États africains. Selon Robert Bourgi, à l'origine du dernier scandale en date, tous les présidents français depuis De Gaulle jusqu'à Chirac auraient profité de ce système. 

De Gaulle invente la «cellule Afrique»

En 1960, au moment des indépendances africaines, la France veut conserver son influence sur le continent noir et préserver son indépendance énergétique. Pour ce faire, De Gaulle met en place une «cellule Afrique», installée directement à l'Élysée et dégagée de la tutelle du ministère des Affaires étrangères. À sa tête, le général place Jacques Foccart, gaulliste de la première heure. Sa devise : «Rester dans l'ombre pour ne pas prendre de coup de soleil». Sous De Gaulle puis Pompidou, l'homme s'emploiera à tisser un dense réseau franco-africain mêlant hommes politiques, chefs d'État africains, hommes d'affaires, services secrets et barbouzes. En poste jusqu'en 1974, il sera un temps écarté par Valéry Giscard d'Estaing mais son réseau gardera de l'influence jusqu'à sa mort, en 1997. 

Elf ou la «France-à-fric»

L'approvisionnement en pétrole, après la perte de l'Algérie, est l'objectif premier de la diplomatie parallèle mise en place par Foccart. C'est dans ce contexte qu'est créée, en 1965, la compagnie pétrolière d'État Elf, qui développe ses activités en Afrique sub-saharienne.

En 1994, l'éclatement de l'affaire Elf porte les dessous de la Françafrique sur le devant de la scène. Elle révèle des circuits financiers alimentant un vaste système de corruption de part et d'autre de la Méditerranée. Loïk Le Floch-Prigent, à la tête de l'entreprise de 1989 à 1993 et condamné en 2003 pour plusieurs centaines de millions d'euros de détournements de fonds, résumera ainsi le système : «En créant Elf (…) les gaullistes voulaient un véritable bras séculier d'État, en particulier en Afrique (…). Une sorte d'officine de renseignements dans les pays pétroliers. L'argent du pétrole est là, il y en a pour tout le monde. (…) Elf fut et reste une pièce essentielle du dispositif néocolonial mis en place par Paris, quelques années après les indépendances, afin de maintenir sa tutelle économique et politique».

L'affaire montre que la Françafrique n'a pas disparu sous François Mitterrand, bien au contraire. Outre le réseau Foccart, toujours actif, les années 1990 ont vu l'arrivée de nouveaux acteurs de la Françafrique, dont Jean-Christophe Mitterrand, le fils du président, puis Charles Pasqua dans le gouvernement d'Edouard Balladur (1993-1995). Les deux se retrouveront au tribunal dans l'affaire de l'Angolagate. 

«Le plus long scandale de la République»

En 1998, François-Xavier Verschave publie La Françafrique, le plus long scandale de la République. Détournement de l'Aide publique au développement, assassinats, putsches…le fondateur de l'association Survie, qui milite contre la Françafrique, liste les faits d'armes des réseaux parallèles.

Parmi ceux-ci figure la guerre du Biafra. À la fin des années 1960, cette région du sud du Nigeria fait sécession. De Gaulle et Foccart sautent sur l'occasion pour tenter d'affaiblir le géant pétrolier, en livrant notamment des armes à la rébellion. Dans ses mémoires, Jacques Foccart citera De Gaulle en ces termes : «Le morcellement du Nigeria est souhaitable». La guerre civile provoque une famine qui fait entre 1 et 2 millions de morts.

Mais la «grande œuvre» du réseau Foccart se situe au Gabon, ex-colonie française où d'importantes réserves de pétrole ont été découvertes. C'est lui qui installe en 1967 Omar Bongo au pouvoir : il y restera jusqu'à sa mort, 41 ans plus tard. Le président gabonais fait partie des chefs d'État africains cité dans l'affaire des «Biens mal acquis». 

Article de Thomas Vampouille (source : lefigaro.fr 13/09/2011)




samedi 17 septembre 2011

"La Côte d'Ivoire est un Etat qui n'existe pas, c'est un Etat jamais fondé..."


Intervention de François-Xavier Verschave durant la journée « Côte d’Ivoire » organisée le 11 janvier 2003 à Grenoble.

"Bonsoir. On m'a demandé de fournir quelques éléments historiques au débat sur la Côte d'Ivoire et une explication sur les causes de la situation actuelle. Je vais donc fournir quelques indications.

Houphouët-Boigny était en 1945 un grand leader africain. Il a milité jusqu'en 1950 pour l'abolition du travail forcé. En 1951, il a été ''retourné'' par diverses pressions sur sa personne – des affaires de mœurs semble-t-il. On lui a également fait peur : un de ses compagnons de lutte a par exemple été assassiné. A partir de 1951, il est donc devenu le fidèle instrument de la néo-colonisation française. Pendant 40 ans, il a fait toute sa carrière en étant entièrement entouré de français : de 1953 où il avait déjà de hautes responsabilités, jusqu'en 1993 date de sa mort. Il n'avait pratiquement aucun conseiller ivoirien. Il était de nationalité française, il avait été parlementaire français. Je ne sais donc pas finalement si l'on peut parler de décolonisation de la Côte d'Ivoire. Houphouët était plutôt un gouverneur à la peau noire entouré de ses conseillers français. C'est lui qui a inventé le terme "Françafrique", mais pas au sens où je l'emploie évidemment. A l'époque la Françafrique était une espèce de continuité rêvée et idéale entre la France et l'Afrique, au profit d'un petit nombre évidemment. C'est ce que Jean-Pierre Dozon, un expert africaniste de ces questions, appelle dans un récent numéro des temps modernes "un Etat franco-africain". Ou, comme dirait André Tarallo d'Elf, "un Etat en indivision", comme disent les Corses. On pourrait dire encore "une marmite commune où tout le monde se sert". Enfin du moins ceux qui ont accès à la marmite... Il faut comprendre que, quand on a comme cela un Etat franco-africain, l'indépendance octroyée est illusoire et partielle. C'est comme si on n'avait jamais coupé le cordon ombilical, c'est comme un enfant dont les parois du crâne n'auraient jamais séché. Dans toute sa carrière, Houphouët-Boigny n'avait aucun problème d'assurance. On lui disait "servez-vous, laissez-nous nous servir". A La fin de sa carrière, sa fortune était égale à 60 milliards de francs. "Laissez-nous nous servir, et nous on va assurer en quelques sorte vos arrières", avec notamment le soutien du franc CFA – Colonie Française d'Afrique, si vous me permettez l'ironie... "Vous n'aurez pas trop à vous soucier de la police ou de la sécurité, parce que ce seront des gens des services secrets français qui vont assurer votre sécurité. Il y aura un tunnel entre votre résidence et l'ambassade de France. Il y aura des accords de défense, et vous n'aurez pas besoin d'une armée nationale ivoirienne. L'armée française sur place se chargera de vous aider à mater les éventuels rebelles. Vous êtes donc assuré contre tout risque économique, politique, ou autre". Bref voici la Côte d'Ivoire dans une sorte de protectorat français.

Je ne vais pas vous refaire toute l'histoire de la Françafrique, de cette négation des indépendances et de la mise en place d'un mécanisme en iceberg où la relation officieuse de négation des indépendances est neuf fois plus importante que la relation officielle de déclaration de l'indépendance. Je voudrais simplement en montrer quelques conséquences, qui ont une importance immédiate sur ce qui se passe aujourd'hui en Côte d'Ivoire.

Une de ces conséquences – qu'on retrouve dans l'ensemble de la Françafrique – c'est que cet Etat rentier vit de la différence entre un prix d'achat pas très élevé au producteur de matière première et un prix de vente. Il y a une rente énorme du cacao et du café en Côte d'Ivoire – qui a permis à ce pays de vivre pas trop mal – mais elle est très largement détournée. Et comme cela ne suffisait pas, on a constitué à partir de la fin des années 70 une dette de plus en plus énorme, égale à bientôt deux fois la production annuelle de la Côte d'Ivoire ! Ce qui s'est passé dans la plupart des pays de la Françafrique, c'est que ces Etats rentiers, qui n'encouragent pas le développement productif pour ne pas susciter des classes de salariés ou d'entrepreneurs potentiellement dangereux pour le pouvoir, qui possèdent une rente parfois en baisse du fait des cours de matière première, qui présentent une dette énorme, sont des états qui arrivent systématiquement à la ruine au début des années 90. On ne peut plus payer les fonctionnaires. On ne peut plus assurer l'éducation et la santé, etc. Et à partir de ce moment-là, dans la plupart de ces pays se passe le même phénomène : puisque les responsables politiques confrontés à une poussée démocratique ne peuvent plus dire "je reste au pouvoir parce que je vais faire le bien du peuple et le développement du pays", ils utilisent l'arme ultime du politique, qui marche presque toujours, celle du bouc émissaire : "si je reste au pouvoir ce n'est pas pour faire le Bien, mais si ce n'est pas moi ce sera les autres que vous haïssez". Ce discours d'instrumentalisation de l'ethnisme, on ne l'a pas vu qu'en Côte d'Ivoire. On l'a vu au Rwanda d'une manière hystérique. Ces ressorts là marchent s'il n'y pas une extrême vigilance devant ces mécanismes d'instrumentalisation. Parce que tout cette haine n'existait pas avant. Ce sont des gens qui utilisent cette stratégie pour se maintenir au pouvoir. Il y a un virus contre lequel les africains doivent lutter : c'est se dire que cet ethnisme n'est pas en eux, c'est quelque chose d'instrumentalisé par des politiciens en fin de course.

L'autre conséquence de ce fonctionnement type Françafrique, c'est que la Côte d'Ivoire a été l'une des bases pendant très longtemps d'un certain nombre de manœuvres aventuristes de la Françafrique. Houphouët était le grand allié de Foccart. Ils se téléphonaient tous les jours. Il y avait une extrême connivence entre eux. Citons deux de ces aventures : la guerre du Biafra pour arracher les provinces pétrolières du Nigéria (une guerre de 2 millions de morts). Une autre qui a des conséquences directes : le complot de la France avec Foccart, de la Libye avec Kadhafi et d'Houphouët pour renverser et tuer Sankara en 1987. Sankara gênait énormément de monde. D'abord la Libye, qui comme tout le monde ne le sait pas, est une grande alliée de la Françafrique depuis une quinzaine d'années. La Libye excelle dans ses entreprises de déstabilisation. Le jour de l'assassinat de Sankara, il y avait à Ouagadougou un personnage qui deviendra célèbre par la suite : Charles Taylor, déjà l'ami de Blaise Compaoré. En fait le meurtre de Sankara est en quelques sorte un meurtre fondateur d'un pacte de sang, ce que j'appellerai le "consortium de Ouaga". Celui-ci allie la Libye, Compaoré, des gens en Côte d'Ivoire dont le général Guéï, Houphouët à l'époque, des gens comme Taylor, et un bout de Françafrique, d'obédience plutôt pasquaïenne. A partir de 1987, le Burkina sous Compaoré est devenu la plateforme centrale de manœuvres de déstabilisation en Afrique : le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée. Des manœuvres hautement profitables menées par des seigneurs de la guerre, où l'on voit fleurir trafic d'armes, de drogues, de matières premières, de diamants, etc. Un garde du corps de Kadhafi racontait que celui-ci, avec sa légion entretenue en Libye, a attiré des gens qui avaient des envies révolutionnaires, dans toute l'Afrique. Et on comprend qu'un certain nombre de gens aient des envies révolutionnaires en Afrique… Mais Kadhafi les a attirés en leur disant "je vais vous entraîner, vous fournir des armes, etc.". Et quand un chef d'Etat venait en Libye – pour recevoir généralement une valise – on lui montrait en même temps l'une des 253 rébellions africaines entretenues par Kadhafi dans ses différents camps d'entraînement et qui pouvaient éventuellement être envoyées contre ce chef d'Etat si celui-ci se mettait à ennuyer la Libye. Il y a donc une espèce de stratégie permanente de la Libye à jouer à la fois à la carotte et le bâton, procédé très classique. Et on connaît les dégâts extraordinaires que cela a provoqué en Afrique. Deux ans à peine après l'installation de Compaoré au Burkina, Taylor a attaqué le Libéria. Il a tellement détruit ce pays qu'à la fin les gens ont voté pour lui en le suppliant d'arrêter l'horreur. Deux ans après, il a envoyé le RUF en Sierra Leone. Donc tous ces gens là – Compaoré, Taylor, Houphouët- ne sont pas vraiment des enfants de chœur. A la mort d'Houphouët, la succession est très difficile : il n'y a en quelque sorte pas d'Etat ivoirien, et Houphouët avait tout fait – comme les gens qui veulent rester longtemps au pouvoir – pour saboter sa succession, pour la rendre inextricable. Il y a en liste le fils adoptif Bédié – dont certains affirment qu'il serait le fils naturel – mais aussi un certain Ouattara, qui était le premier ministre. Et ces deux là se sont disputés pendant ces quelques années. Il y a aussi Laurent Gbagbo, opposant authentique, mais qui se rendait compte que sa base électorale était insuffisante. Au début des années 90, Gbagbo s'est donc mis lui aussi à emboîter sur le slogan de Bédié, l'ivoirité. Tous ces successeurs potentiels se sont dit "pourquoi ne pas utiliser l'arme ultime du politique ? Celle du bouc émissaire." Et cela nous considérons que c'est un crime. On parle de 3 armes de destruction massive : nucléaire, biologique, chimique. On oublie de dire qu'au Rwanda a été inventée une arme extraordinaire à travers l'incitation à la haine ethnique. Celle-ci est capable de mobiliser deux millions de civils à travers la radio de la haine pour en massacrer un million d'autres. Et ce type d'armes est aussi condamnable du tribunal pénal international qui est en gestation. Il faut apprendre à reconnaître cette arme et à la dénoncer avec la plus extrême vigueur car une fois qu'elle est déclenchée on ne peut plus l'arrêter. Et bien entendu si la guerre reprend, et s'il y a des massacres dans les villages, Gbagbo pourra dire "ce n'est pas moi qui ai massacré, je n'y suis pour rien." Sauf que quand on a mis en place ce type de mécanisme, on doit rendre des comptes.

Vous avez donc à la fin des années 90 Bédié, pas très bon chef d'Etat, qui mène mal la Côte d'Ivoire – qui par ailleurs est ruinée. Et aussi un autre phénomène en jeu à travers l'Afrique : un certain mouvement de sous-officiers avec des envies révolutionnaires. Là-aussi on ne peut pas leur jeter totalement la pierre, car la situation de l'Afrique n'est pas terrible… Cependant, par expérience je pense que le choix de la violence dans les renversements de régime donne assez rarement des résultats positifs. Un certain nombre d'entre eux à travers différents pays se sont échangés des idées en se disant "et si on renversait un certain nombre de choses ?". Certains ont renversé au Niger et ont organisé des élections démocratiques parmi les moins contestée depuis 40 ans. Quelque part, certains des officiers qui ont renversé Bédié en Noël 1999 étaient un peu de cette trempe. Houphouët se méfiait de son armée, il n'en voulait pas. Donc il n'y avait pas vraiment d'armée en Côte d'Ivoire, juste une armée dépenaillée. Il y avait simplement quelques petits commandos d'élites formés par la France et le général Guéï. Ce sont des officiers de ces commandos-là qui ont pris le pouvoir fin 1999. Mais comme ils sentaient un peu le soufre au niveau de la Françafrique, ces officiers se sont dits "on va mettre au-dessus de nous un protecteur, quelqu'un bien en cours : le général Guéï". Le problème, c'est que le général Guéï n'avait pas du tout l'intention de servir leurs objectifs. Au bout de 2 ou 3 mois, lui-même a recruté sa propre milice, et il a affronté ces officiers. Tortures, exils, etc. Leur projet a donc échoué, et ils se sont réfugiés au Burkina pour préparer un éventuel retour. Entre temps, élections en Côte d'Ivoire : Gbagbo a dribblé le général Guéï qui voulait le pouvoir, et on a vu les premiers éclatements de manifestations de pogroms et de haine ethnique à l'occasion des charniers de Yopougon. Gbagbo a été très mal élu, car à l'aide d'un certain nombre de constitutionnalistes français – comme d'habitude –, on a truqué les élections. Depuis 15 ans, il y a des constitutionnalistes qui s'arrangent pour dire que si le principal opposant du régime a 63 ans, on limite l'âge pour se présenter à 62 ans. Là, on a ergoté indéfiniment avec beaucoup plus de venin, sur le fait que Ouattara avait exercé dans d'autres pays en tant que fonctionnaire international. Par conséquent on a tout fait pour éliminer deux des quatre principaux candidats. Chaque candidat est en quelque sorte représentatif d'une des quatre régions de Côte d'Ivoire : Guéï, Gbagbo, Bédié et Ouattara. On s'est arrangé pour éliminer deux d'entre eux. Gbagbo a été élu par une toute petite minorité du corps électoral, donc sa légitimité n'est pas terrible. A partir de là, se sentant minoritaire, dans un pays en grande difficulté financière, il décide de s'appuyer à fond sur ses partisans. Il recrute dans la gendarmerie sur les bases de se région d'origine : il met en place des miliciens capables de mener la terreur dans les quartiers. Il tombe également sous la coupe de pasteurs charismatiques évangéliques américains. Personnellement, je suis croyant, mais là je ne suis pas sûr que les conseils donnés à Gbagbo soient forcément terribles… Ce sont à peu près les mêmes types de conseil que doit recevoir le président Bush lorsqu'il met le mot "Dieu" à chacune de ses déclarations. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que les commandos de la mort qui sévissent dans les quartiers remontent directement à la présidence. Tout ça n'est donc pas formidable.

Simplement, je voudrais dire deux mots sur le coup d'Etat du 19 septembre. Ne versons pas dans l'angélisme. Les sous-officiers réfugiés au Burkina ont leurs objectifs : poursuivre la prise de pouvoir avortée en 1999. Ils disent vouloir la démocratie. Peut-être certains d'entre eux sont sincères. Mais encore une fois, la démocratie par les armes et par un coup d'Etat sanglant, c'est discutable. Il faut surtout voir les soutiens à ce coup d'Etat : derrière, il y a à nouveau le consortium de Ouaga : Libye, Compaoré, et des gens ayant déjà fait leur preuve au Libéria et au Sierra Leone. Ceux-là ont aidé les rebelles. Ils continuent actuellement à fournir carburants et armes. Et il y a parmi eux un bout de réseau françafricain. Tout le monde sait également que du côté de Jacques Chirac, on n'était pas très content de Gbagbo qui voulait remettre en cause le monopole de Bouygues dans l'électricité et dans l'eau, qui voulait aussi éventuellement refuser qu'un troisième pont prévu à Abidjan aille au Chinois plutôt qu'à Bouygues. Donc, cette rébellion, quels que soient les objectifs de certains de ces dirigeants, est une rébellion qui est soutenue par des gens peu recommandables. Elle augure des faits semblables à la destruction du Sierra Leone et du Liberia. Pour nous, il est clair que dans l'état actuel de la Côte d'Ivoire, quels que soient les responsabilités passées, si on déclenche la guerre totale dans un sens ou dans l'autre, il y aura d'immenses massacres. C'est pourquoi notre position est claire : la priorité pour les militants que nous sommes c'est d'éviter les massacres, éviter un autre Rwanda, éviter que les bouts de braise s'enflamment. A la fin tout le monde sera victime, tout le monde est détruit. Quand un peuple s'entretue, tout le monde a sa vie ruinée. Il s'agit d'éviter cela. Je vais vous dire quelque chose d'étonnant : La France dans cette affaire a eu d'abord un réflexe positif, qui devait venir sans doute de la honte et du crime commis au Rwanda. L'armée française, parfaitement informée, savait que la poursuite de cette rébellion – qui à un moment donné était tout à fait incontrôlée – aboutirait à des massacres. Donc elle a joué un rôle d'interposition. Nous disons que c'est très bien, c'est ce qu'il fallait faire. On pourrait souhaiter qu'il y ait un pompier interafricain, mais on a vu malheureusement que ce pompier mettait trois ou quatre mois minimum à se déplacer… Mieux vaut un mauvais pompier pas très légitime que pas de pompier du tout. Situation paradoxale : la France a eu un bon réflexe pour éviter que cela dégénère, et se trouve maintenant dans l'obligation d'être vertueuse, ce qui reste étonnant. Elle sait qu'une reprise de la guerre civile et qu'une conquête des rebelles aboutirait à des désastres. Donc elle veut une solution politique. Et il n'y a effectivement aucune autre solution : la Côte d'Ivoire est un Etat qui n'existe pas. C'est un Etat jamais fondé, dont les frontières de biens communs, de légitimité et de citoyenneté n'ont jamais été établies. Aujourd'hui, on est incapable de dire avec précision qui est citoyen de Côte d'Ivoire et qui ne l'est pas. Cette incertitude juridique est mortelle. Les Ivoiriens ne pourront pas vivre ensemble s'ils ne décident pas qui est citoyen, comment on le devient, et dans quelle mesure tous les habitants de Côte d'Ivoire depuis une date récente sont les fondateurs de ce pays. Quand on dit que pour être Ivoirien il faut être né de mère Ivoirienne, alors qu'une grande partie des Ivoiriens ont des parents qui étaient sous la colonisation avant que la Côte d'Ivoire existe, alors que le problème des frontières indéfinies n'est pas résolu, alors que tous les grands leaders indépendantistes étaient panafricains, c'est pour le moins paradoxal. Les Ivoiriens doivent résoudre trois problèmes : la définition de la citoyenneté, le problème foncier, la création d'une bonne constitution. Une constitution calquée sur le 5ème République est absurde. Car à chaque élection, 2/3 des individus ont l'impression d'être exclus d'un scrutin où le président surpuissant va avoir tendance à privilégier ses électeurs. La cinquième République est une mauvaise constitution. Il faut retrouver dans la pensée africaine un fonctionnement moins imbécile que la 5ème République à la française. Si la France, dans une position très délicate – car l'interposition c'est se prendre des coups de part et d'autre – va jusqu'au bout de l'obligation d'être vertueuse, c'est-à-dire de pousser à une solution politique, aider les ivoiriens a définir ensemble leur citoyenneté, etc. Alors nous, à Survie, nous dirons que ce rôle aura été pour une fois positif. Fait quasi-historique : toutes les ONG françaises se sont rassemblées en demandant que la France assume ce rôle de "pousseur vers une solution politique". Nous voulons que le gouvernement français obtienne un mandat de l'ONU, demande des commissions d'enquête sur les crimes commis en Côte d'Ivoire, et des enquêtes sur les sources des trafics d'armes et de mercenaires qui une fois de plus conditionnent toute cette horreur.



lundi 12 septembre 2011

INSULTE


Au Rwanda, à la fin du siècle dernier, deux tribus aux drôles de noms, les Hutus et les Tutsis, se sont entretuées à coup de machettes – sous-entendu «comme des sauvages». C'est, à peine caricaturée, la légende encore trop partagée dans notre pays au moment où le président rwandais, Paul Kagame, s'y rend pour une première visite officielle depuis le génocide. Car c'est de cela qu'il est question : d'un génocide perpétré par le régime hutu contre la population tutsie et ses soutiens hutus. Le plus fulgurant des génocides – 800 000 morts en cent jours, entre le 6 avril et le 4 juillet 1994. Et même si cette histoire est largement écrite par un ensemble de chercheurs scrupuleux, il s'agit une nouvelle fois d'un passé qui, en France, a du mal à passer. L'implication de notre République dans ces atroces massacres, sa complicité comme son savoir-faire en matière de «crimes de bureau» n'y sont évidemment pas pour rien. En témoigne la force d'un négationnisme qui triomphe encore parfois dans les médias, à l'image d'un Pierre Péan et de son abjecte thèse du «double génocide». Car – n'en déplaise à tel ancien commandant de l'opération Turquoise qui s'estime traité de «nazi» – si l'on peut ce jour parler d'insulte, c'est seulement à propos de celle faite toutes ces années aux victimes niées du génocide. N'en déplaise aussi à M. Quilès, ex-ministre de la Défense, qui empêcha une véritable enquête parlementaire en présidant lui-même une insatisfaisante mission. A la différence des Belges, qui surent mener ce douloureux travail en public, reconnaître la responsabilité morale de leur pays avant de présenter leurs excuses. Nicolas Sarkozy est allé à Kigali début 2010, il reçoit aujourd'hui Paul Kagame à Paris, il sait ce qu'il lui reste à faire.
Par SYLVAIN BOURMEAU – (source : Libération 12 septembre 2011)

mardi 6 septembre 2011


UN QUI RÊVE DEBOUT…

Par Marcel Amondji


Le journaliste Raphaël Lakpé s’offrit un beau moment de gloire en 1990 en osant, le premier, traiter publiquement Alassane Ouattara, alors Premier ministre, chef du gouvernement ivoirien, d’étranger. Aujourd’hui, c’est le coryphée de la meute des griots de celui qu’il trouvait alors tellement indigne d’être le chef du gouvernement de la Côte d’Ivoire. C’est ce qui s’appelle retourner sa veste. C’est un exercice aujourd’hui en passe de devenir un véritable sport national tant le nombre de ses adeptes s’est accru depuis le 11 avril 2011. Mais, quand on lit un texte comme celui que nous reproduisons ci-après (voir encadré), on doit reconnaître que Raphaël Lakpé en est incontestablement le champion toutes catégories. Qualité à laquelle il joint encore un art consommé du maniement de la brosse à reluire.  


Avec Ouattara tout sent bon
Par Raphaël Lakpé
(source : Le Patriote 06 septembre 2011)


Au propre comme au figuré, le grand public sent déjà les effets positifs de la gouvernance ADO. Et ce, après seulement un trimestre de présence effective. A Abidjan comme à l’intérieur du pays, la lutte acharnée menée contre les ordures ménagères porte ses fruits. Les tas d’immondice qui obstruaient la vie des populations et mettaient à rude épreuve leurs appareils respiratoires, disparaissent les uns après les autres. En tout cas, pourrait-on dire pour paraphraser une publicité qui a fait les beaux jours d’un produit de consommation local : depuis qu’Alassane Ouattara est là, la Côte d’Ivoire respire bien. L’air est plus sain. Les promeneurs des bords de la lagune Ebrié ne sont plus obligés de se boucher le nez pour éviter d’inhaler les mauvaises odeurs. Quand vous parcourez les rues de la capitale économique du pays et certaines villes de l’intérieur, vous constatez tout le bien que fait l’opération déguerpissement initiée, il y a quelques semaines, dans le cadre du programme d’urgence du gouvernement, par la ministère de la Salubrité urbaine. Les quartiers retrouvent leurs couleurs et les espaces perdus à cause des occupations anarchiques. Le carrefour « Mel » cesse, tous les jours que Dieu fait, d’être un cauchemar pour les automobilistes après la pluie. Les effets des travaux entrepris en amont de cet ouvrage se sentent déjà. Quel bonheur !
Avec Ouattara au pouvoir, il faut le reconnaître également, ce n’est pas seulement le paysage qui change. Les rapports de l’Ivoirien au travail ont également évolué. Les embouteillages, signaux premiers de la reprise des activités à Abidjan, se forment désormais à partir de 6h du matin au lieu de 8h. C’est donc tout frais et le soleil encore endormi que les travailleurs et surtout les agents de l’Etat arrivent dans leurs bureaux. Sous l’ancien régime, le monde s’éveillait à la mi-journée. Le soir, les bars et les boîtes de nuit faisaient le plein. La baie des milliardaires recevaient les bateaux de plaisance des nouveaux riches. C’était à qui aurait le dernier pavillon ou la voiture la plus rutilante. Pendant ce temps, les rues se remplissaient de teuf-teuf. Or, rien que par le contrôle rigoureux des pièces afférentes aux véhicules, l’ordre revient dans les transports urbains. Les vieux tacots Woro-woro partent au garage ou à la casse. Une aubaine pour les propriétaires des taxis-compteurs qui subissaient une concurrence déloyale de la part des conducteurs de ces voitures sans papiers et souvent en très mauvais état. Les guimbardes bruyantes, perdant des pièces en pleine circulation sont désormais retirées des circuits. Pour arriver à ces résultats, nul n’a été besoin de faire de grands discours ou des opérations spectaculaires. La simple volonté de faire a suffi. Avec Alassane Ouattara, ce qui apparaissait impossible, devient réalité rien que par la méthode. Il avait bien dit, au cours de sa campagne électorale, qu’il était la solution et qu’il avait les solutions aux problèmes qui assaillent les Ivoiriens. Comme il fait toujours ce qu’il dit, à mesure que les jours passent, le grand public découvre que tel ou tel problème a trouvé solution.
S’il y a un autre niveau où les Ivoiriens sentent la douceur de la vie, c’est bien à celui du discours politique. Depuis l’avènement d’Alassane Ouattara, la population a rompu avec le ton guerrier, les invectives inutiles. Le monde n’est plus divisé en deux parties. Les amis du président qui seraient les bons et les adversaires politiques, des damnés de la terre. Alassane Ouattara a bien dit qu’il sera le président de tous les Ivoiriens et il l’est, le démontre à chaque instant et dans chaque discours. Il parle toujours pour « ses chers compatriotes, ses frères et sœurs » qui sont les habitants de ce pays. Cet air frais fait du bien au pays. Les animosités baissent, la fraternité gagne du terrain. Les voisinages ne présentent plus des foyers de tension. Cette atmosphère de convivialité est à mettre au crédit du nouveau président de la République. On espère seulement que le FPI qui reprend du service ne va pas venir rompre cette quiétude avec son discours de guerre et de provocation inutile.
C’est vrai que la sécurité reste encore une épine et que l’activité économique n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière et que la vie est encore trop chère mais, avec ces frémissements évoqués plus haut, il y a fort à parier que les lendemains des Ivoiriens seront meilleurs. Il n’y a pas de doute.
Raphaël Lakpé


 Certes, il n’est pas interdit de rêver. Ce qui est à déconseiller absolument, c’est de prendre ses rêves pour la réalité.

Marcel Amondji